À Plouaret, les Allemands avaient installé la feldgendarmerie dans une maison spacieuse, située rue de la gare, à mi-côte à droite dans la descente en partant de l'église. C'est dans cette maison que Roger MADIGOU fut emprisonné et torturé sauvagement.
Ils s’étaient installés aussi dans d'autres grandes demeures, l'école Saint-Louis par exemple, qu’ils avaient réquisitionnées, chassant leurs occupants.
L’une de ces demeures, située dans le quartier de la Pépinière, leur servait d'habitation. Dans le grenier de cette maison, ils gardaient prisonniers les hommes qu'ils arrêtaient. Cette maison, appelée depuis la maison des Martyrs, la maison des Fusillés, la maison des Tortures, a acquis une sinistre réputation dans la région. C'était, en fait, une prison où l’on pratiquait systématiquement la torture. Cette maison de granit, située actuellement rue de la Résistance, comprend un jardin, une cave, un rez-de-chaussée, un étage et un grenier.
À l’entrée du jardin, une ou deux sentinelles armées assuraient en permanence la garde de la maison dans une casemate construite à l’aide de mottes de terre.
Au premier étage à droite, se trouvait une pièce où s'était installé le capitaine de la feldgendarmerie que les gens avaient surnommé « le boucher de Plouaret. Il s'appelait MEITTEI. C’était un grand blond de type aryen, âgé de quarante ans environ. Sur la porte de cette pièce était fixée une plaque où se lisait « MEITTEI ». Dans cette pièce, où se trouvait un lit, la cheminée servait à entreposer des bouteilles d'alcool, en particulier de cognac, car on buvait beaucoup dans cette maison.
Un escalier central, séparant en deux tous les étages, aboutissait au grenier, une grande pièce au plancher de bois dont chaque partie était éclairée par une lucarne.
Dans une pièce qui lui servait de chambre, MEITTEIi dirigeait les séances de tortures, le principal exécutant étant un tortionnaire luxembourgeois nommé ALFRET.
De nombreux résistants sont passés dans ces lieux et y ont subi les tortures les plus ignobles. On peut citer :
- Auguste LE PAPE, Arsène FAUJOURON, Eugène DANIEL, Auguste PASTOL, Léon LE GUERSON, Pierre MENOU et Joseph HENAFF, arrêtés lors de la rafle de Plouaret du 23 avril 1944, fusillés le 6 mai 1944 à Ploufragan,
- Roger MADIGOU de Louargat, arrêté à Saint-Paul en Louargat le 6 avril 1944, fusillé le 6 mai 1944 à Ploufragan,
- Marcel HAMONOU de Plounévez-Moëdec, arrêté le 6 mai 1944 à son domicile, envoyé en kommando en Allemagne, libéré en 1945,
- Louis OMNES et Léon NICOLAS de Louannec, arrêtés à la suite d'un combat au Guillors en Louannec le 9 juin 1944, libérés par la suite,
- Marcel LE ROUX de Plouaret, arrêté par erreur à Ploubezre le 23 mai 1944, massacré en forêt de Malaunay en Ploumagoar le 10 juillet 1944,
- Jean-Baptiste LE CORRE de Plounévez-Moëdec, premier maire communiste des Côtes-du-Nord, envoyé en camp de concentration en Allemagne à Neuengamme où il mourut,
- Auguste BOLEAT de Plounévez-Moëdec, envoyé en camp de concentration en Allemagne à Neuengamme, libéré en 1945,
- Armand OLLIVIER, Jean LE QUERE et Louis LE MAITRE de Plounévez-Moëdec, massacrés en forêt de Malaunay en Ploumagoar le 10 juillet 1944,
- Yves LE MORVAN de Vieux-Marché, prisonnier quelques jours, puis libéré,
- Léon OLLIVIER et son père, grand invalide de guerre, arrêtés avec d'autres habitants de Pluzunet lors d'une rafle, le 14 juillet 1944, libérés quelques jours plus tard,
- René PERON de Plounévez-Moëdec, disparu, vu pour la dernière fois dans ces lieux,
- Yves FLOURY de Pontrieux assassiné sur place,
- René GUINAMANT, Marcel QUERE, Pierre et Eugène QUENIAT, Edouard GUEZIEC, tous les cinq de Trémel,
- Lucien AUGEL père, Lucien AUGEL fils et Robert AUGEL de Loguivy-Plougras.
- Adèle DANIOU, vingt ans, arrêtée le 24 avril 1944 à Trédarzec.
…pour ne citer que ces noms, car combien d'autres personnes de la région ont souffert entre ces murs !
Des corps défigurés et affreusement torturés ont été retrouvés dans des terrains vagues à proximité de cette demeure après la Libération, ainsi les corps de René GUILANGARD et des frères Pierre et Eugène QUENIAT, tous trois de Trémel, Yves FLOURY parmi bien d'autres qui ne furent jamais identifiés.
Lors des séances de torture, le voisinage entendait les cris des suppliciés.
Les Allemands cherchaient à faire avouer sous la torture les responsables de la Résistance pour décapiter ses réseaux. Ils recherchaient également ceux qui avaient aidé la Résistance (en lui fournissant nourriture, caches, hébergement, renseignements...)
Ils voulaient connaître :
- Les endroits où étaient cachées les armes,
- Les lieux où éraient parachutées les armes,
- Les endroits où se cachaient des parachutistes anglais ou américains.
Tous les moyens étaient utilisés pour faire parler ceux qui tombaient entre leurs mains. Les Allemands utilisaient des outils spécialement conçus pour la torture.
Les prisonniers de la maison de la Pépinière n’étaient pas nourris par les Allemands. Soit les familles apportaient des repas confectionnés par leurs soins, soit une serveuse des restaurants PIRIOU et MILLOUR situés non loin de là, parfois accompagnée par un familier du détenu, apportait des repas qui étaient facturés aux familles des prisonniers. Ces repas étaient remis aux détenus par les soldats allemands de garde.
Les familles avaient rarement la possibilité de parler aux prisonniers ; parfois, quand une entrevue était autorisée, cela se faisait de façon discrète en breton ou par signes.
Dans la maison de la Pépinière, il n'y avait que des Allemands, pas de Russes blancs, pas d’autonomistes, pas de gendarmes français ou de miliciens.
Les familles n’étaient pas prévenues du départ de la personne arrêtée. Simplement, lorsqu’elle était conduite vers le peloton d'exécution ou vers une destination inconnue comme les camps de concentration, lors de la distribution des repas, les membres de la famille qui étaient présents étaient informés qu’il était inutile de revenir.
Les détenus allaient aux toilettes attachés deux à deux sous la surveillance de soldats allemands. Des requis pour des travaux effectués à proximité de la maison de la Pépinière les voyaient bien mais ne pouvaient rien faire pour eux. Leurs regards étaient difficiles à supporter, tant ils exprimaient de souffrance. De jeunes soldats allemands auraient été aperçus pleurant après avoir assisté aux tortures…
Des projets d'attaque de la maison de la Pépinière pour libérer les détenus furent envisagés mais le nombre de soldats allemands et l'armement dont ils disposaient firent que ces projets furent abandonnés car ils comportaient trop de risques pour les détenus, la population locale et les assaillants. Une telle attaque se serait immanquablement traduites par des représailles et un bain de sang pour la population.
Ainsi, le 6 mai 1944, nous devions attaquer les lieux, avec Eugène LE LAGADEC ; nous avions rendez vous devant un calvaire à Tonquédec pour nous rendre à Plouaret, mais l'opération fut annulée car nous avions été avertis que nos camarades avaient quitté les lieux et avaient été exécutés. Ce projet était insensé ; il était voué à l'échec.
Rien de comparable avec la prison de Lannion où sept détenus furent libérés par un groupe de huit FTPF le 8 mai 1944.
Après la Libération, la maison des Martyrs fut mise en vente par son propriétaire, mais dut rester longtemps inhabitée, sans acquéreur.
On découvrit sur les lieux des papiers où les prisonniers exprimaient leurs sentiments. Du sang séché était resté visible dans le grenier où étaient gardés les prisonniers.
Le 5 août 1944, les tortionnaires allemands quittèrent les lieux pour se regrouper afin de tenter de rejoindre Brest. Ils ne furent jamais inquiétés.
Pour achever de tout effacer, des bruits coururent comme quoi la maison était hantée. Pourtant, même de nos jours, évoquer simplement la maison de la Pépinière provoque des frissons d'horreur chez les anciens qui ont connu cette époque.