Témoignage de Marcel HAMONOU,
torturé par les Allemands à la maison de la Pépinière

Marcel HAMONOU

Marcel HAMONOU était responsable FTPF de la compagnie « La Marseillaise », sur le secteur de Plounévez-Moëdec.

« Avant d'être arrêté par les Allemands, j'ai participé à des actes de sabotages, en particulier des coupures de lignes téléphoniques souterraines, la désorganisation des pancartes routières le 15 octobre 1943, la veille de manœuvres allemandes semant la panique parmi eux, des déraillements dont le dernier est réalisé à Saint-Éloi en Louargat à proximité d'un pont près de Landoas, qui immobilisa la voie pendant 12 heures le 21 mai 1944, de la récupération d'armes à Loc-Envel, armes cachées sous la responsabilité de Paul NOGRE et Maurice PEIGNE.
Paul NOGRE, Maurice PEIGNE et Marcel GUILLERMIC seront arrêtés lors de la rafle de Loc-Envel le 12 avril 1944 et fusillés à Rennes le 23 juin 1944.
J'étais conscient des risques que j'encourais, un soldat autrichien, certainement anti-nazi, m'a dit un jour : « Attention à toi, tu es surveillé ».
Avant l'Occupation, j'habitais dans une ferme avec ma famille à Coat-Colvé en Plounévez-Moëdec, en arrivant en 1940, les Allemands nous ont obligé à quitter la ferme et nous nous sommes installés dans un domicile d'évacuation à Gouardreus, toujours en Plounévez-Moëdec.
Le jeudi 6 mai 1944, à 4 heures 45, toute la famille est au lit, dormant paisiblement, un bruit de voiture suivi d'un freinage brutal nous réveille, faisant aboyer les chiens. Les Allemands arrivent dans une voiture Traction avant Citroën, ils sont 5 soldats, l'un d'eux frappe à la porte, c'est mon père qui leur ouvre. Dans cette maison, nous sommes installés de façon provisoire, tout le monde dort au grenier. Les Allemands montent les escaliers, arrivent au grenier, mon frère sort du lit en premier, se présentant face aux Allemands, l'un d'eux dit : « Non, ce n'est pas vous mais lui », en me montrant du doigt. Ils étaient bien informés sur mon physique.
Ils m'ordonnent de les suivre, en voiture ils me conduisent dans une baraque située à Prat-Caric, et à cet endroit il me ficellent comme une andouille, sans qu'il me soit notifié le motif de mon arrestation, ni leurs intentions à mon égard. Un soldat allemand que je connaissais est venu me voir, il m'a retiré mes liens et m'a dit : « Mon pauvre Marcel, tu es dans de mauvais draps, je ne peux rien pour toi ». Avant l'arrivée de la troupe venant de Plouaret pour me transférer, il m'a remis les liens.
Vers 11 heures, trente-cinq cyclistes allemands traversent le bourg de Plounévez-Moëdec, (ils ont été comptés par un témoin). Ils viennent me prendre en charge, on peut penser qu'ils craignent une tentative d'attaque pour me libérer. Je suis libéré de mes liens et contraint de monter sur une bicyclette sans freins, encadré en permanence par deux soldats allemands. Nous prenons, les 35 cyclistes et moi, la route de Plouaret pour arriver à la maison de la Pépinière dont je connais la réputation. Arrivé à cet endroit, on me place le dos au mur contre le pignon de la maison en plein soleil pendant environ deux heures et cela sous la garde d'une sentinelle. Après quoi, il m'est ordonné de pénétrer dans la maison et de monter au grenier où se situe la pièce servant de prison. L'un des soldats me dit : « Installez-vous sur ces vêtements posés à terre qui appartenaient à ceux qui ont été fusillés hier (1), votre tour viendra aussi ». C'est dans une des deux parties du grenier que je suis mis avec des camarades arrêtés la veille, soit : Yves LE MANSEC (2), le docteur Louis HUET, Yves BELLIGUIC, Louis LE VAICHER, Marcel GEFFROY, tous les cinq de Belle-Isle-en-Terre ; les trois derniers seront libérés par la suite. Dans l'autre partie du grenier, celui qui est considéré par tous comme le dénonciateur.
Nous ne pouvons pas parler à cause de la présence du dénonciateur, plusieurs fois je dois mettre en garde mes camarades pour qu'ils ne parlent pas. Du 6 au 10 mai, nous restons dans ce grenier, 6 d'un côté et 1 de l'autre côté. C'est par l'intermédiaire de la serveuse du restaurant Piriou que nous parviennent les repas que nos familles doivent payer. Au cours de la distribution d'un de ces repas, la serveuse du restaurant me dit en breton : « Tiens bon, Marcel, ils n'ont rien trouvé », ce qui fut pour moi un grand soulagement. En effet, je possédais une liste d'une vingtaine de noms cachés à mon domicile, c'est ma sœur qui a remis cette liste à un agent de liaison du nom d'Alexandre, venu récupérer le document compromettant. D'autre part, une mitraillette était aussi cachée, c'est mon frère qui à la barbe des Allemands l'a dissimulée dans une charretée de fumier, l'a transportée dans un champ en cours de labour, puis a réussi à la faire disparaître en faisant semblant de travailler la terre, l'enfouissant sous celle-ci.
Sur moi, j'avais un autre petit papier avec des noms que je réussis à avaler discrètement. Le lundi 10 mai, dans la soirée, deux soldats allemands entrent dans le grenier, tout le monde se lève comme nous sommes obligés de le faire à chaque fois qu'un Allemand entre dans ce grenier. Les deux soldats me donnent l'ordre de les suivre. Je descends avec eux d'un étage, on me fait entrer par une porte sur laquelle est écrit MEITTEI, je me retrouve dans une pièce dans laquelle il y a un lit, une cheminée remplie de bouteilles de cognac. Au sol, des taches noirâtres de sang coagulé. Je me trouve dans la chambre du capitaine, cette chambre sert de la salle de torture. Je suis debout, entouré de quatre ou cinq Allemands, en face de moi il y a MEITTEI, qui est visiblement ivre, buvant au goulot du cognac, j'ai su par la suite qu'il revenait de Bégard où il avait une « poule », celle-ci avait été ce jour-là inquiétée par des Résistants. Voulait-il se venger ?
Toujours est-il que pour moi commence l'interrogatoire, toujours les mêmes questions répétées sans cesse : « Qui est le chef ? », « Combien êtes vous dans le groupe ? », « D'où proviennent les armes ? », « Où ont lieu les parachutages ? », « Que fais-tu la journée ? », je leur ai répondu : « Je travaille la terre », « Que faisais-tu la nuit du 5 au 6 ? », à cette [réponse] il m'a été facile de leur dire que je dormais puisque à 4 heures 45, ils sont venus me sortir de mon lit. Devant mon refus de répondre aux questions, on me passe les menottes aux poignets, l'interprète allemand se trouvant dans la pièce ordonne que l'on me mette des menottes plus solides, me jugeant costaud. On m'oblige à me baisser afin de faire passer mes coudes entre mes deux genoux, puis ils me passent un bâton par les creux des coudes et des genoux, m'obligeant à tomber à terre, complètement immobilisé, la peau tendue par l'effort et la douleur. C'est alors qu'ils se sont acharnés sur moi à coups de nerfs de bœuf, me retournant de temps en temps. À un moment, MEITTEI m'a sauté sur l'estomac à pieds joints.
Cette séance de torture a duré plus d'une heure entrecoupée toutes les 5 minutes environ par les mêmes questions. Ils m'ont tapé à tour de rôle. MEITTEI participait autant que les autres, mais c'est ALFRET le tortionnaire qui a été le plus bestial, c'est lui qui mettait le plus d'énergie dans les coups. Comble de raffinement dans la torture, un tortionnaire me tient l'avant-bras posé sur une table, il m'oblige à serrer le poing, un autre tortionnaire à l'aide d'un marteau me donne un grand coup de marteau sur l'os de l'index au niveau du poing déplaçant du même coup cet os, ce fut une douleur épouvantable.
Alors que la porte est entrouverte, j'entends quelqu'un dire dans le couloir à MEITTEI : « Surtout, ne lui dites pas que c'est moi », je suis certain que c'est... qui parlait ainsi.
Je n'ai pas lâché un nom, je m'étais engagé auprès de mes camarades du groupe à ne dénoncer personne, plutôt crever que parler.
La séance de torture terminée, je suis reconduit au grenier avec mes camarades, mes reins, mon dos, mes cuisses, mes bras sont de la couleur d'un foie de veau virant parfois au noir, toutes mes chairs sont meurtries, je souffre énormément, je ne peux m'asseoir ou m'allonger, c'est une souffrance permanente.
Le Docteur HUET me conseille de ne pas toucher ma peau meurtrie, de peur qu'elle éclate comme une ampoule et qu'elle ne s'infecte par la suite.
Ces séances de torture se sont répétées pendant trois à 4 jours avec la même intensité. Il m'a fallu par la suite 6 mois pour pouvoir à nouveau m'asseoir sur une chaise tant les chairs ont été meurtries.
Nous avions droit à une sortie tous les jours, pour nos besoins personnels. Alors, nous nous sommes organisés pour évacuer nos urines à l'aide d'une boite de conserve trouvée sur place, que nous jetions par le vasistas situé sur la toiture. Les Allemands s'en étant aperçus, les coups ont redoublé.
Malgré mes difficultés à me déplacer on m'a obligé sous la garde d'un soldat à aller chercher deux seaux d'eau au bord de la rivière située dans la prairie près de la maison de la Pépinière, j'ai eu la tentation de sauter sur mon gardien, mais celui-ci maintenait sa main droite sur le côté gauche au niveau de la ceinture, certainement il était prêt à m'abattre, puis j'ai aperçu derrière un bosquet un chien et un soldat prêt à intervenir avec une mitrailleuse, heureusement que j'ai su garder mon sang-froid. Je pense que c'est un piège qui m'était tendu, dans le but de m'abattre.
Lors d'une sortie qui nous était accordée chaque jour, un soldat allemand m'a dit : « Pourquoi êtes-vous ici ? » Je lui ai répondu que je ne savais pas, il m'a dit à son tour : « C'est une lettre de dénonciation », sans que je puisse en savoir davantage.
Vers le 14 mai, mes cinq camarades et moi, encadrés par des soldats, nous quittons la maison de la Pépinière, pour emprunter un chemin menant directement à la voie ferrée Paris-Brest, puis nous longeons la voie pour arriver à la gare de Plouaret. Les Allemands ont ainsi évité de nous faire passer dans les rues de Plouaret, ont-ils craint des réactions de la population ou de nos camarades ?
Nous prenons le train, toujours bien encadrés, pour arriver à Saint-Brieuc où nous sommes placés dans un hôpital-prison, et gardés par des gendarmes français au service des nazis.
Là, je reçois quelques soins, ma sœur est venue me voir, elle était accompagnée de Madame LE VAICHER dont le mari, Louis, était prisonnier avec moi.
Une autre fois, c'est mon frère qui put me rendre visite, la durée de ces visites était très courte et sous surveillance.
Louis LE VAICHER, Yves BELLIGUIC et Marcel GEFFROY sont libérés à cet endroit.
Vers le 22 mai, Yves LE MANSEC , le docteur Louis HUET et moi sommes envoyés par le train à Paris en compagnie de camarades arrêtés lors d'une rafle à Rostrenen.
Nous passons environ une dizaine de jours dans la caserne de La Pépinière à Paris.
À nouveau en train, nous sommes conduits en Allemagne, je crois me souvenir que le passage de la frontière s'est fait le jour du débarquement des alliés en Normandie, soit le 6 juin 1944.
Après quatre ou cinq jours de train, je suis envoyé au kommando Gustaf 2 Régina, aux environs de Leipzig. C'était un camp disciplinaire, dans lequel était fabriqué de l'armement, je suis affecté à réparer des machines-outils endommagées après les bombardements de l'aviation anglaise, moi qui n'y connais rien à la mécanique.
La vie dans ce camp est très dure. Il faut lutter contre la faim et le froid. Nous sommes astreint à un travail très pénible
La libération du camp a lieu le 3 avril 1945, par l'armée américaine du général Patton. Les bois de la région étaient infestés de SS en déroute. Les Américains ont demandé des volontaires sachant manipuler les armes pour les déloger.
Mon arrestation comme celle de mes camarades n'est pas le fruit du hasard, pour ma part j'ai la certitude que c'est... qui nous a dénoncé, il fut d'ailleurs libéré de la Maison de la Pépinière par la suite et, depuis, il n'est pas réapparu à ma connaissance dans la région. Il se serait engagé à la Libération dans la Légion étrangère, comme beaucoup de collaborateurs. À Saint-Raphaël, au moment de s'embarquer pour partir en Indochine, il est reconnu par un camarade de Plounévez-Moëdec, celui-ci en avise son commandant d'unité. »

(1) Auguste LE PAPE, Eugène DANIEL, Auguste PASTOL, Joseph HENAFF, Léon GUERSON, Arsène FAUJOURON, Pierre MENOU et Roger MADIGOU.
(2) Déporté au kommando de Watenstedt dépendant du camp central de Neuengamme en Allemagne, matricule 40388, décédé le 1er avril 1945.





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