« Vers le 12 juillet 1944, j'habite alors à Vezoudec en Vieux-Marché dans une ferme qu'exploitent mes parents, j'ai 19 ans. Je ne fais pas partie de la Résistance.
Dans l'après-midi, je suis occupé à couper de l'herbe pour les bêtes dans une prairie, mon frère vient m'aider à charger le fourrage afin de l'envoyer à la maison, il est allé aussi chercher un voisin pour nous aider à charger. Nous causons tranquillement le long de l'ancienne route de Plounévez-Moëdec-Vieux-Marché, quand nous apercevons venant de Plounévez-Moëdec une colonne de cyclistes allemands, ils sont environ une trentaine. Nous avons la surprise d'en voir arriver d'autres dans notre dos.
Aussitôt, ils nous demandent nos papiers d'identité. Ayant laissé ma veste dans laquelle se trouvent mes papiers en bas dans la prairie, je leur fais comprendre que je dois aller les chercher. Je suis donc descendu prendre la veste et en ai sorti le portefeuille. L'Allemand chef du groupe l'a saisi et a vidé son contenu.
Quelques jours auparavant, ma petite-nièce avait trouvé dans le grenier un petit papier sur lequel était écrite une chanson ayant pour titre : « Hitler, le maudit », elle me l'avait remis et je l'avais rangé dans mon portefeuille, ne pensant pas que ce geste allait m'attirer de graves ennuis avec l'occupant. Ces petites chansons étaient vendues de main à main à cette époque, celle que je possédais avait été achetée par un frère ou une sœur.
L'Allemand sort le petit papier compromettant du portefeuille, voyant le texte, je suis aussitôt bousculé et je reçois des coups de pieds et des gifles.
Je suis contraint de les suivre à pied, les Allemands étant sur leurs vélos. Au bout d'un moment, ils m'obligent à retirer mes sabots et à courir pieds nus, et à l'époque la plupart des routes ne sont pas bitumées, alors sur les cailloux pieds nus...
Quant à mon frère et au voisin étant en règle, ils sont relâchés.
Nous allons en direction de Plouaret. Je me suis donc retrouvé à la maison de la Pépinière, à l'entrée dans le jardin une sentinelle armée assure la garde dans une espèce de cabane faite avec des mottes de terre.
Je suis amené au grenier de cette maison où se trouve déjà environ une trentaine de prisonniers répartis en deux groupes de chaque côté de l'escalier, ce sont tous des hommes jeunes. Nous avons très peu de place et la plupart du temps nous sommes debout, ne pouvant parler entre nous, car surveillés par des gardiens. C'est dans ces conditions que je passe ma première nuit de détenu.
Le lendemain, dans l'après-midi, un soldat allemand m'ordonne de le suivre, je suis embarqué dans un camion qui m'amène au Gollot en Plounévez-Moëdec, je reste dans le camion, sans savoir ce que je viens faire à cet endroit. Le Gollot est un manoir où se sont installés les Allemands, c'est en fait une garnison importante.
Puis, toujours en camion, nous prenons la direction de Vieux-Marché, pour arriver chez mes parents. Les Allemands fouillent la maison, sans résultat, et pour cause puisque personne à la maison ne fait de Résistance. Je suis autorisé à descendre du camion mais je ne peux rentrer chez moi.
Ma sœur, très malade à l'époque, veut m'embrasser, les Allemands l'empêchent en lui disant : « On n'embrasse pas un terroriste ». Puis c'est le retour à Plouaret, à la feldgendarmerie, située dans l'actuelle rue de la gare, non loin de la Pépinière.
Vers 16 heures, je suis introduit dans une baraque derrière la feldgendarmerie. Je me trouve en face du sinistre ALFRET le tortionnaire, assis au coin d'une table, et qui porte son bras en écharpe, conséquence sans doute de l'attaque du camion à la Lande près de Kerauzern en Ploubezre quelques jours auparavant. À ses côtés se tient un homme trapu en bras de chemise tenant un nerf de bœuf à la main.
Ils m'obligent à joindre mes mains, qui sont liées par une espèce de ceinture en cuir. Puis mes tortionnaires m'obligent à me baisser afin de faire passer mes coudes entre mes deux genoux, puis ils me passent un bâton par les creux des coudes et des genoux, m'obligeant à tomber à terre, complètement immobilisé, la peau tendue par l'effort et la douleur.
Je suis tapé avec le nerf de bœuf pendant environ 45 minutes, la séance de coups est interrompue de temps en temps pour me poser des questions. Toujours les mêmes questions qui reviennent : « Qui est le Chef ? », « Combien êtes vous dans le groupe ? », « D'où proviennent les armes ? », « Où ont lieu les parachutages ? »... ne pouvant y répondre, ils redoublent les coups.
À la fin de cette séance de coups, j'ai le corps tout meurtri, mes côtes, mes cuisses, mes fesses, mes bras, tout mon corps est douloureux de toute part, je ne peux plus m'asseoir.
Ensuite, je suis envoyé dans une crèche à cochons non loin de là, où je retrouve d'autres camarades, nous sommes cinq ou six dans l'obscurité. Il y a un homme grand de Pluzunet, OLLIVIER, il est un grand blessé de la guerre de 14/18, il est borgne et a une jambe raide, son fils Léon est avec lui.
C'est la serveuse du restaurant Millour qui nous apporte les repas, payés par nos familles. Elle a pu me dire en breton par la toute petite lucarne de la crèche : « Toi, tu vas être libéré tout à l'heure, ainsi que trois ou quatre autres dont je ne me souviens plus des noms ».
En effet, les Allemands m'ont annoncé peu de temps après ma libération, mais que tous les soirs ils passeront à 21 heures pour voir si je suis bien à la maison. Ils ne sont jamais venus.
C'est sur l'intervention d'un membre de ma famille commerçant au bourg de Plouaret auprès de la feldgendarmerie que je dois ma libération, qui s'est porté garant pour moi comme quoi je n'étais pas un « terroriste ».
Avant d'être libéré, les Allemands m'ont demandé de leur ramener le lendemain un pain de 5 livres. C'est ma mère qui est venu l'apporter, de crainte qu'ils m'arrêtent à nouveau. Ils devaient avoir des difficultés à se ravitailler.
J'ai su pendant mon séjour que René PERON de Plounévez-Moëdec avait été jeté dans un camion, et qu'une pelle et une pioche avaient aussi été balancées avec lui. Il ne sera jamais retrouvé. J'ai appris aussi qu'un grand nombre de prisonniers de la Pépinière avaient été libérés.
Ce que j'ai vécu, jamais je ne pourrais l'oublier et encore moins le pardonner. »
Yves MORVAN épousera la soeur d'Eugène DANIEL de Plouaret fusillé le 6 mai 1944 au camp de manoeuvre des Croix à Ploufragan, ils habiteront à Saint-Jean en Plouaret.