mon vécu au CFM
du 2 mars 1962 au 19 avril 1962


tape de bouche du CFM

écusson du CFM
Hourtin 1962
Ce qui suit n'a été rendu possible que grâce à un agenda que j'ai partiellement tenu à jour, mais aussi grâce au courrier que j'adressais à mes parents et que ma mère a conservé.
mars 1962

- 1er mars à 22 h 43, départ de Paris gare d'Austerlitz, mes amis et amies sont présents pour m'accompagner, je suis le premier du groupe à être incorporé, je pars pour 28 mois, théoriquement,
- 2 mars à 4 h 30 du matin, arrivée à Bordeaux Saint-Jean, je suis seul avec un autre camarade, nous avons pris un train trop tôt, départ en autocar du CFM pour Hourtin, arrivée à Contaut - Hourtin à 8 h, distribution de 3 couvertures, 1 drap, une timbale, un couteau, une fourchette et un cadenas, interminables attentes, les couteaux et bouteilles d'alcool sont confisqués, installation dans une chambrée, nous sommes tous des appelés du contingent, parmi eux des professeurs, des instituteurs, un physicien, un médecin...
- 3 mars, passage au coiffeur, boule à zéro, attribution du paquetage, cinéma "Dracula",
- 4 mars, cinéma "assassin et voleur",
- 5 mars, à la visite médicale j'apprends que je suis daltonien je confondrais le rouge et le bleu,
- 6 mars, mutation à la 4ème section et 6ème compagnie, deux compagnies de 30 soit 60 dans la même chambrée, attribution du hamac par ordre alphabétique : TILLY à côté de la fenêtre puisque en fin de liste, mon matricule est le 0562 3453,
- 7 mars, habillement complet, photographe,
- 8 mars, apprentissage du pliage des vêtements 25 X 25,
- 9 mars,
marquage des vêtements avec un pochoir à notre matricule (0562 3453) et de la plaque d'identité avec des chiffres à frapper ,
- 11 mars, dispensé de corvée parce que malade, infirmerie, gargarisme et inhalation,
- 13 mars, prise de sang, piqûre anti tuberculeuse, intraveineuse,
- 14 mars, maniement d'armes, passage devant le capitaine de compagnie pour entretien,
- 15 mars, piqûre TABDT, dispensé de tout,
- 15 mars, toutes les forces armées françaises sont consignées à cause du cessez le feu en Algérie,
- 16 mars, consigné pour 10 jours, interdit de foyer,
- 17 mars, garde au bureau du commandant de 8 h à 20 h,
- 20 mars, première solde : 30.10 NF + 8 timbres + 1 bon de colis,
- 21 mars, corvée au mess des officiers,
j'étais affecté à la plonge, ce jour là, il y avait au menu des œufs sur le plat, anodin n'est-ce pas, sauf que chaque officier avait son propre plat, donc au moins une cinquantaine de plats à nettoyer, à l'époque il n'y avait pas de poêle Teffal,
- 23 mars, séance de tirs, en dehors du CFM, au carrefour Hourtin-plage - Piqueyrot - Hourtin-ville dans un tunnel, j'ai décollé de terre de 20 cm au premier coup de feu, 3 coups de feu tirés, mention très bien, ce tunnel existait toujours vers 1995, depuis il a été démoli,
- 24 mars, permission de 4 h, promenade sur la plage à Hourtin, assistons à la tempête du haut d'un blockhaus, j'ai retrouvé un copain de lycée, un antillais Michel JACQUES, il arrivait des Antilles avec une trentaine d'autres Antillais, ils avaient amené avec eux du punch à la noix de coco,
- 25 mars, cinéma "les affreux",
- 26 mars, corvée de chaufferie de 0 h à 2 h,
- 27 mars, corvée d'escarbilles (résidus de charbon),
- 28 mars, exercice d'armes, garde au bureau de compagnie de 22 h à 0 h,
- 29 mars, garde d'honneur pour deux amiraux, inauguration du foyer, le plus moderne de l'armée française (deux salles de télévision, une bibliothèque, deux foyers, une salle de correspondance, tout est neuf),
- 31 mars, corvée au charpentage, garde de nuit, planton de 0 h à 2 h, de garde au fond du CFM, de nuit, près d'un hangar, je me suis fais engueulé par un officier marinier pour ne pas avoir fait les sommations,
à mon grand étonnement les fusils qui nous étaient affectés portaient une croix gammée, ce devait être des fusils Mauser récupérés sur l'armée d'occupation allemande.

avril 1962
- 1er avril, permission de 10 h à 18 h 30, balade à Lesparre-Médoc avec deux copains (Serge LEFEBVRE et GRISOLFI), nous avons mangé dans un restaurant, prix du repas : 12.50 NF,
- 2 avril, marche de 12 km à travers bois et dunes, trois gars de la compagnie tirés au sort pour aller en permission, rhume complètement guéri, nous avons emporté une couverture en cas d'incendie de forêt, réception d'un colis avec du beurre,
- 3 avril, séance de godille, garde de chambrée de 4 h à 6 h,
- 5 avril, exercice d'armes, fin des classes, nous restons à rien faire en attente de notre affectation,
- 9 avril, sports et balade à la plage,
- 10 avril, corvée de nettoyage à la chambrée,
- 11 avril, sport,
- 12 avril, piqûre, dispensé de tout,
- 13 avril, premier départ de la compagnie voisine la 47ème,
- 15 avril, balade sur le lac en youyou,
- 18 avril, nomination pour le pétrolier ravitailleur Lac Tonlé Sap,
- 19 avril, départ d'Hourtin à 16 h, autocar jusqu'à Bordeaux Saint-Jean, en train pour Toulon à 20 h 45 en passant par Toulouse et Marseille.
anecdotes vécues à Hourtin
- nous dormions dans des hamacs (on s'y habitue facilement), ceux-ci étaient fixés à des barres horizontales sur deux niveaux en quinconce, le matin il fallait le plier et le remettre en place le soir, dès que l'un d'entre nous bougeait dans son hamac tous ceux qui étaient fixés sur la même barre en profitaient,
- de début mars à fin mars, nous sommes tous tombés malades, toux, bronchite, grippe, angine, température, mal de tête... à cause des courants d'air la nuit, il faisait tellement chaud dans la chambrée que certains ouvraient des fenêtres de chaque côté ce qui provoquait un courant d'air, moi j'étais juste à côté d'une fenêtre (dernier par ordre alphabétique), j'ai été obligé de demander à mes parents de m'expédier des médicaments, un foulard bleu marine, des compléments alimentaires, les soins étaient administrés de façon collective nous y allions en marchant au pas, badigeonnages de gorge, gouttes dans le nez, sur les 30 de la compagnie, il y en avait 8 à l'infirmerie, il était très difficile de dormir la nuit à cause des toussards,
- nous avons fait des séances de godille sur le lac, participé à des cours théoriques sur le maniement des armes, à l'apprentissage des grades, à des séances de mise en garde quant aux risques d'attraper des maladies vénériennes, ceci à partir d'un film,
- chacun avait à effectuer son contingent de corvées : balayer la cour, envoyer les restes de nourriture aux cochons, approvisionner et desservir la machine à laver la vaisselle (elle faisait presque 10 m de long), effectuer la plonge au mess des officiers mariniers, garder à l'aubette ...
- nous avions à effectuer des tours de gardes, mais aussi défiler presque tous les matins avec musique de la flotte,
- de 72 kg à mon arrivée à Hourtin je ne pesais plus que 69 kg en fin de formation,
- d'autres corvées nous furent attribuées (jardinage plantation de dahlias, semer du gazon, dallage ),
- notre section était surnommée celle des intellectuels (nous savions tous lire et écrire),
- un prestidigitateur faisait son service militaire (il endormait les gens), un rugbyman DUPRAT, un du groupe les Chaussettes Noires... étaient aussi parmi nous,
- au mois de février 1962, la guerre d'Algérie (appelée autrefois Opération de Maintien de l'Ordre) n'était pas terminée, nous avions la crainte d'y être envoyés, à l'approche de notre affectation, la situation devenait tendue, le cessez le feu en Algérie n'était pas encore signé, la durée légale du service militaire était encore de 28 mois,
- les nominations arrivèrent, il fallait pour le porte avions Le Foch (mis à l'eau récemment) 800 hommes d'équipage, notre paquetage devait être en permanence prêt pour partir rejoindre notre première affectation,
- un copain a été envoyé à la DBFM de Sirroco près d'Alger, centre de formation des Fusiliers Marins, il fut le seul à partir en Algérie,
- un collègue a été passé tout habillé sous l'eau, il ne se lavait jamais et sentait mauvais, son slip était tout noir, il était le fils d'un haut gradé de la marine et demeurait dans un beau quartier de Paris,
- l'eau des sanitaires était couleur rouille, elle provenait sans doute du lac,
- nous n'avions droit qu'à une seule douche par semaine,
- les WC étaient particulièrement sales, ils étaient la plupart du temps bouchés, le tout s'empilait, il fallait retrousser les manches du pantalon,
- le petit déjeuner était apporté dans la chambrée, c'était la ruée,
- l'entente du groupe était très bonne, il n'y a jamais eu de conflit,
- lors d'une revue au terre-plein des couleurs, 6 à 8 matelots étaient sur le monticule de terre, au signal : "présentez... armes !", l'un d'eux mis l'arme sur l'épaule, ne se rendant compte de rien, il resta ainsi,
- au hasard des escales, il m'est arrivé de retrouver avec plaisir des camarades d'Hourtin, l'un d'eux Serge LEFEBVRE affecté avec le Commandant HOUOT sur Archimède à l'extrémité du quai de l'Artillerie sera libéré en même temps que moi, nous nous quitterons à la gare Saint-Lazare de Paris,
quelques remarques et regrets
- lorsque nous sommes arrivés à Hourtin venant en autocar Marine Nationale de la gare SNCF de Bordeaux, aucun accueil pour nous expliquer à quel endroit nous nous trouvions. Il aurait été judicieux de nous situer la région, pour ma part je n'avais jamais entendu parler d'Hourtin.
- Hourtin Centre de Formation Maritime soit disant, aucune information nous a été donné sur la Marine Nationale, il aurait été judicieux aussi de nous faire un petit historique sur l'institution qui nous accueillait, sur les bâtiments la composant, qu'est-ce qu'une escadre ? pour quelles genres de missions les escorteurs d'escadre ont été conçu ? ...
- nous nous situions en dehors du temps, au cours des mois de mars et avril 1962 des événements importants nous concernant se déroulaient : négociations pour mettre fin à la guerre en Algérie, des appelés y étaient encore envoyés. Nous n'avions aucune nouvelle de l'extérieur.
- concernant la suspension du service militaire, je pense que c'est une erreur, le peuple se trouve coupé de son armée, les opérations médiatiques ne sont pas suffisantes pour pallier à cela. Le service militaire permettait la rencontre de jeunes issus de milieux différents, permettait aussi l'apprentissage de la vie en commun, la solidarité... il aurait aussi permis une remise à niveau des connaissances pour certains et pourquoi pas apprendre les bases d'un métier.

quelques années plus tard retour à Hourtin

 
- depuis 1983, je suis retourné à plusieurs reprises dans le Médoc, passant devant le CFM, reconnaissant la chambre dans laquelle j'avais séjourné, faisant de la planche à voile à Piqueyrot, la petite plage sur le lac à proximité du CFM, m'aventurant à la limite du CFM, un jour j'ai assisté de ma planche à une inspection, plusieurs baleinières avec matelots pelles en l'air rendaient les honneurs à un gradé.
- c'est une région que j'aime beaucoup, pour ses grandes plages, son lac, ses pistes cyclables de la Pointe du Verdon au Cap Ferret, certaines pistes constituées de plaques de béton ont été mises en place par les résiniers afin de transporter la résine à une époque ou cette industrie était en pleine essor.
- des bruits circulent sur un projet de transformation du CFM en centre touristique, la région ne peut que s'en réjouir, mais cela apportera immanquablement des nuisances. Le CFM comporte des installations importantes : deux stades, une piscine olympique, un gymnase...
- les blockhaus que j'ai connus en 1962 étaient en haut des dunes, ils se trouvent maintenant dans l'océan, souvent ils sont disloqués, le rivage a perdu au moins 200 mètres en 60 années dans certains endroits. Vers 1995 les restes d'un des blockhaus de la plage d'Hourtin ont été évacués.
- en aout 2006, la commune d'Hourtin est devenue propriétaire des lieux.
- il serait bien qu'une journée portes ouvertes permettent à ceux qui ont fait leurs "classes" dans ces lieux de rendre une dernière visite aux installations avant transformations du site.


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