NORBERT LE JEUNE ARRETÉ
LE 28 MARS 1945 A PLOUARET


fu
LE JEUNE Norbert
Né le 31 mai 1915 à Plouaret.
Président du Comité Local de Libération.
Le 19 mars 1945, il fut révoqué par le préfet GAMBLIN de ses fonctions de secrétaire de mairie de Plouaret.
Le 22 mars 1945, il fut arrêté et pris place à bord du véhicule du préfet GAMBLIN, en cours de route la voiture tomba en panne, Norbert du pousser le véhicule. Il fut conduit à Langueux camp de concentration (terme utilisé par le préfet) regroupant pour tout le département les personnes suspectes.
Aux Archives Départementales, le dossier de Norbert LE JEUNE figure pami les collaborateurs !
Norbert LE JEUNE reçu le soutien de tous les maires du canton, du Front National, du parti socialiste, du parti commmuniste, des Femmes Françaises et la majorité de la population lui a montré son estime.
Nobert Le Jeune, fut par la suite maire de Plouaret et Conseiller général du canton.

Le taux de blutage du blé
Le taux de blutage indique le nombre de kg de farine que l'on fait avec 100 kilos de blé. Si l'on enlève 25 kilos de son et diverses enveloppes au blé, on obtiendra 75 kg de farine. Cela correspond à une farine blanche, que l'on dira “ blutée ” à 75%, pour obtenir du " pain blanc ".
A la Libération un taux de blutage du blé à 85% fut imposé par une décision Préfectorale.
Avec un taux de blutage 85% on obtient du " pain noir " qui n'était pas jugé consommable par la population à l'époque.
Norbert Le Jeune fut arrêté par le Préfet pour s'être opposé à cette décision.

Devant le comportement du préfet à son égard, suite à la venue de celui-ci à Plouaret pour l'arrêter, Norbert Le Jeune lui adressa cette lettre.


Norbert LE JEUNE

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Commune de Plouaret

Le Président du Comité de Libération de Plouaret
à
Monsieur GAMBLIN, préfet des Côtes-du-Nord

Monsieur, quand je vis stationné sur la place de Plouaret la grosse et somptueuse voiture automobile qui vous a conduit le 17 mars dans notre commune je cru à la visite du roi d'Angleterre, quand vous m'avez adressé la parole j'aurais pensé être en présence d'un Préfet de Police si vous ne vous étiez annoncé. En vérité j'aurais préféré que vous m'eussiez parlé avec l'autorité de votre compétence au lieu de me parler comme vous l'avez fait avec la seule autorité de votre voix. Le seul mot de Préfet ne saurait intimider un honnête homme et votre attitude loin de me soumettre m'invite au plus haut point car ce n'est pas à vos instructions que je m'oppose mais à cet esprit de soumission que chacun aime à trouver chez plus faible que lui. Le peuple d'aujourd'hui ne veut plus se soumettre il veut comprendre, il veut enfin connaître la cause de ses misères et c'est pourquoi il était de notre devoir de répondre point par point à ma lettre du 25 septembre dernier dont je vous adresse ci-joint la copie j'aurais pu alors comme j'ai l'habitude de le faire mettre la population de Plouaret au courant des raisons qui imposent le blutage de farine au taux de 85% ainsi chacun mis en face des réalités et de ses propres responsabilités aurait fait son devoir et je suis certain que la population de Plouaret est prête à accepter de nouveaux sacrifices à la condition qu'il soit démontré que ces sacrifices ne seront pas inutiles et trouveront leur compensation dans l'amélioration des conditions de vie des populations les plus malheureuses.

En vérité j'ai quelques répugnances à m'étendre si longuement sur une telle question de détail et pense combien serait minime le sacrifice que nous ferions en consommant le pain le plus noir auprès des souffrances de ceux qui sur tous les fronts de notre planète en feu se battent pour notre liberté commune et notre futur bien être, de ceux qui dans les stalags mènent la plus affreuse des existences. Mais enfin les pénitences que nous pourrions nous imposer à nous mêmes allégeraient toutes ces souffrances ? Ce n'est pas ici une question de pain blanc que je défends c'est une question de principe. On veut qu'en France tout le monde consomme le même pain. Voilà qui est en effet désirable ; la loi doit être la même pour tous mais saurez vous par la persuasion ou par les gendarmes faire appliquer cette loi dans toute sa mesure ? Pas par la persuasion je pense puisque vous n'avez même pas daigné prendre connaissance des objections du Comité de Libération ; alors par les gendarmes dont vous m'avez à plusieurs reprises rappelé l'existence lors de votre visite. Je vous ai répondu qu'ils ne suffiraient pas que vous devrez les multiplier et qu'ils ne réussiront pas là où la police de Vichy a échoué. Si demain Monsieur le Maire de Plouaret et moi-même nous voulions empêcher la fabrication du pain blanc votre entreprise serait inévitablement vouée à l'échec, d'ailleurs à Saint-Brieuc ne mange t'on pas du pain blanc sous l'élégante dénomination de biscotte réservée évidemment aux seules familles aisées qui peuvent y mettre le prix.


Soyons donc réalistes et évitons qu'en appliquant trop à la lettre une loi qui ne pouvait évidemment comporter d'exception nous provoquions la fabrication de deux sortes de pain sur le territoire d'une même commune, les lois sont faites pour tous les Français mais il est laissé à l'intelligence des fonctionnaires hauts et petits chargés de les exécuter le soin de les appliquer avec souplesse selon les cas et les conditions qu'elles ne peuvent prévoir.

Vous m'avez fait savoir que de Plouaret des modestes postes que j'occupe je ne pouvais voir toutes les difficultés de la nation toute entière. Je sais tout au moins quel sentiment, mais je sais aussi qu'on ne fait pas tout pour les surmonter : le sabotage des Vichyssois, l'incompétence d'un grand nombre de hauts fonctionnaires, l'appât du gain de ceux qui mettent leurs intérêts particuliers au dessus de l'intérêt général et la complicité de ceux qui les laissent agir ne sont pas étrangers à nos malheurs, qu'attend-on pour punir les responsables de cet état de chose. On pourrait faire des livres avec toutes les injustices que nous voyons et contre lesquelles on semble ne vouloir rien faire. Vous voyez bien que l'on voit assez de ce petit Plouaret on en voit hélas que trop.

Lors de votre visite vous ne m'avez pas caché le mépris que vous avez pour le modeste secrétaire de mairie que je suis et je devine aisément que cela va également à tous les humbles. Et bien vous n'aviez pas le droit d'afficher un tel mépris car je pense que nous n'auriez pas oser le faire si vous n'aviez porté le nom de Préfet, je proteste énergiquement et vous dit : celui qui ne peut traiter ses administrés avec si peu de considération n'est pas digne d'être un administrateur et ne serait en tout cas en être un bon.
Vous avez été vous dites vous un Résistant et n'avez à ce titre de leçon à recevoir de personne vous oubliez les morts dont nous avons vous comme moi la leçon à retenir car ils ne sont pas sacrifiés cela pour revenir à la IIIème République celle des trusts, mais pour celle bien plus belle que nous construirons demain. Non nos camarades de Plouaret ne sont pas morts pour conserver leurs immenses terres aux ROSANBO et aux CARCARADEC, ni pour conserver la forêt de Beffou à l'égoïste GUILLET dont je vous ai parlé il y a quelques mois dans une lettre qui est également restée sans réponse.

J'ai connu dans la Résistance un employé de mairie qui a fabriqué durant l'occupation pour ses camarades traqués quantité de fausses pièces d'identité et que je vous dise son désintéressement que je vous dise qu'il a perçu à ce titre moins d'argent que pour tous les faux papiers ainsi délivrés que certains avocats de la Résistance pour une seule de leur consultation. Car enfin s'il n'avait pas voulu être cet homme méprisable employé de mairie il aurait fait comme un certain commissaire de police d'un arrondissement de Paris qui vendait chaque jeu de faux papiers d'identité au prix de plusieurs milliers de francs, il aurait tout au plus passé quelques jours à Langueux et continué impunément la série de ses exploits serait aujourd'hui encore un trafiquant du marché noir que maints hauts fonctionnaires salueraient.

Et enfin puisque je dois aller au fond de ma franchise je me permet encore de vous faire remarquer que la luxueuse voiture que vous utilisez pour vos visites à vos administrations n'est point du tout en harmonie avec les durs temps que nous vivons et en aucune façon avec le fait de venir constater les restrictions chez les autres. Il y a là un manque de tact qui n'échappe pas à la population et je pensais en contemplant cette somptueuse Doodge que le contingent d'essence consommé inutilement par les quelques chevaux superflu pourraient être utilement répartis entre les communes qui ne sont même pas chaque fois que le besoin est en mesure de transporter leurs malades à l'hôpital le plus proche.

Et puis encore quels sont vos conseillers ?

Je suppose qu'ils ne sont pas tous de l'espèce de cet homme dont le physique nous rappelle le triboulet de Henri II que l'historien nous fait connaître, cet homme qui se dit contrôleur des farines que j'ai rencontré un jour sans son inséparable compagnon entrain de manger du pain blanc dans une minoterie de la région et qui ne critiqua la blancheur de ce pain que lorsqu'il en fut rassasié. Je dis qu'il y a un manque de pudeur de la part de l'administration de maintenir en place de tels agents qui acceptèrent durant l'occupation du gouvernement de Vichy la tâche de rationner les Français pour permettre aux goinfres Allemands de manger à leur faim, ce ne sont évidemment que des lampistes mais de tels lampistes deviennent dangereux quand on les écoute et sans doute l'aviez vous cru lorsque chez un de nos boulangers qu'une cabale était montée contre vous dans la région de Plouaret, je ne prendrai même pas la peine de démentir une telle sottise, c'est chez le même boulanger que vous avez pu voir le pain d'un chien qui nous était offert et dont une fournée complète fut jetée dans le poulailler. En tout cas vous avez pu constater que vos ordres avaient été écoutés et qu'en les appliquant nous avions provoqué un gaspillage jusqu'ici inconnu depuis la Libération.

Enfin vous avez voulu devoir clore votre conversation par une parole choquante.
Si cela est indigne d'un avocat ça l'est plus encore d'un administrateur de votre importance. Je termine en émettant l'espoir que la fin de la guerre voit également la fin de la IIIème République où le bien être, la considération et certaines libertés dont chacun jouisse en fonction de la fortune qu'il possède, pour que vive la IVème République celle que nous voulons nous Résistants où chacun aura sa place et où vous ne serez plus Préfet, je suis sans votre considération un Président de Comité.

A Plouaret le 18 mars 1945
Norbert LE JEUNE

Cette lettre fut affichée à la porte de la mairie de Plouaret.


GAMBLIN Gabriel
Né le 25 août 1885 à Watten (Nord), décédé le 3 février 1973 à Dunkerque (Nord).

Maître Gabriel GAMBLIN, avocat au barreau de Dunkerque et ancien bâtonnier, venu se réfugier à Saint-Brieuc en 1940 par suite de l'occupation allemande et de la destruction d'une grande partie de Dunkerque, il maîtrisait parfaitement la langue allemande et avait toute la confiance des autorités occupantes, il fut accrédité par les autorités d'occupation pour assurer la défense des personnes victimes d'arrestations.
Il demanda aux familles de victimes arrêtées de fortes sommes d'argent pour assurer leur " défense " lors des " procès " ou lorsque ces personnes passaient en jugement devant les tribunaux militaires allemands. Par exemple 4000 F (1) pour défendre Madame TILLY de Bégard, alors qu'il n'eut pas accès au tribunal, n'étant pas autorisé par les autorités d'occupation à pénétrer dans le tribunal.

Nommé préfet des Côtes-du-Nord dès la Libération le 7 août 1944 sur proposition de l'abbé CHERUEL membre du Comité Départemental de Libération et du mouvement Défense de la France.

Le 23 janvier 1941, il défendit un membre du PNB (Parti National Breton) et écrivait :
Comme chaque adhérent du PNB, Monsieur NIVOT n'a jamais cessé de manifester son opinion "Hitlérophile" et ce en temps de guerre. En effet, depuis longtemps les patriotes bretons ont placé toute leur confiance dans le chancelier Hitler, car ils espèrent avec raison que la victoire totale du Reich assurera la libération de la Bretagne (2).
Maître Gabriel GAMBLIN poursuivant :
Votre sympathie à l'égard des troupes d'occupation ne fait aucun doute. Vous êtes comme tout nationaliste Breton assez germanophile.
Ne manquez pas de vous targuer de votre qualité de nationaliste breton ; car si du temps de la domination Française elle vous valait d'être emprisonnés dans les geôles de la république, aujourd'hui elle vous assure la protection de l'armée allemande (2).

Maître Gabriel GAMBLIN se déplaça à Plouaret le 22 mars 1945 pour assurer l'arrestation de l'ancien résistant Norbert Le Jeune maire de cette commune à la Libération (futur maire et conseiller général de Plouaret) du fait qu'il refusait de servir à ses administrés du pain noir (le blutage de la farine au taux de 85%, taux de blutage imposé par une circulaire préfectorale) considéré de moins bonne qualité que le pain blanc au taux de blutage de 75%.

Maître Gabriel GAMBLIN fut remplacé par Henri AVRIL le 30 juin 1945, directeur de l'Ecole Normale de Lamballe, originaire de Cavan.

Maître Gabriel GAMBLIN fut affecté le 3 juin 1945 à d'autres fonctions en Autriche en zone occupée.

(1) équivalent à 5 mois de salaire pour un ouvrier
(2) relevé aux Archives Départementales de Saint-Brieuc