Au début de juillet 1944, ies Allemands avaient demandé à la Mairie de collecter trois tonnes de paille qui devaient être entreposées sur la place du bourg de Pluzunet.
Le 15 juillet, un convoi est venu chercher la paille, mais il en manquait la moitié.
Alors ils se sont rendus à la ferme d'Auguste Tilly pour prélever le nécessaire.
Un soldat était resté au bourg "surveiller" la paille.
Comme il faisait chaud, il se rendit à plusieurs reprises étancher sa soif au bistrot de Pauline.
Légèrement éméché, il s'endormit sur la paille.
Eugène Le Lagadec (1) et Jean Minou (2), maquisards, s'approchèrent de lui, volèrent son fusil après lui avoir flanqué un bon coup de poing dans la figure, lui causant une petite blessure. Après quoi, ils s'éloignèrent en emportant le fusil.
Lorsque ses amis revinrent de chez Auguste Tilly, avec leur chargement de paille, le soldat désarmé raconta sa mésaventure, avec beaucoup de gestes.
Leur chargement terminé, les soldats rejoignirent leur cantonnement à Trégrom.
Le 16 Juillet, les occupants revinrent au bourg de Pluzunet, bien décidés à récupérer leur arme. Une dame leur dit "si j'avais eu un fusil, je vous l'aurais donné". L'officier interpellé répondit "sachez, Madame, que nous ne manquons pas d'armes, mais nous n'aimons pas qu'on nous les vole".
Plusieurs hommes furent rassemblés sur la place. Les Allemands étaient accompagnés d'un individu dénommé Charles Grot (3) qui leur donnait des renseignements. Ce triste sire venait de rentrer d'Allemagne où il avait séjourné deux ans. Il faut dire qu'il était allé travailler outre-Rhin pour échapper à la police française suite à une agression commise sur ia personne d'un vieil homme : Mathias, domicilié à Rulem en Pluzunet.
Après avoir menacé de brûler quelques maisons du bourg, les Allemands prirent la direction de Plouaret, après que Charles Grot leur eût dit que les jeunes gens de Pluzunet allaient se baigner dans le Guer, au Moulin de Kervern.
Au niveau de la ferme du Plessis, les jeunes et les Allemands se croisèrent.
Roger Le Morvan, Guy Hellequin, Joseph Lepage, Yves L'Héréec et Léon Ollivier furent arrêtés et embarqués dans un camion où se trouvaient déjà Yves Ollivier (dit : " Yvon "), Yves Lohou et Arzur.
Le convoi prit la direction de Plouaret.
Au niveau du Pont-Coat-Unvoas, une roue arrière du camion éclata. Nous dûmes regonfler ia roue, au moyen d'une pompe à main.
Puis le voyage se poursuivit.
Nous arrivâmes au bourg de Trégrom vers minuit.
Débarqués du camion nous nous y rendîmes à pied, les mains sur la tête, après qu'un soldat nous eût dit Un homme parti, tous les autres morts.
Bien que mal exprimé, le message fut bien compris, et nous n'essayâmes pas de nous échapper, bien que cela eût été possible.
Au bout d'une heure de marche nous arrivâmes au Château du Gouer, propriété de Feydeau, lieu de cantonnement. Nous fûmes enfermés dans une soue de trois mètres sur deux.
Une demi-heure après, mon père, grand invalide de la guerre 14-18 vint nous rejoindre, et l'un des soldats qui montaient la garde demanda qui était celui qui arrivait, et les ………. lui répondirent que c'était le père des partisans.
Est ce que les fils sont là aussi ?
Non nous n'avons réussi qu'à en attraper un.
Ce dernier, c'était moi, je n'étais pas au maquis parce que trop jeune, mais c'était le fameux Charles Grot (3) qui avait dit que j'étais un terroriste.
Nous n'osions pas demander d'aller aux toilettes et nous étions obligés de faire nos besoins dans un coin de la soue. C'est une humiliation que je n'ai jamais oubliée et que je n'oublierai jamais.
Apres une nuit passée dans ces conditions, nous fûmes brutalement réveillés, et les interrogatoires menés par les feldgendarmes de Plouaret.
Le lieutenant me demanda : "Quel est ton matricule ? Qui est ton chef ? Tu as deux minutes pour réfléchir".
Je ne pouvais donner de numéro matricule, puisque je n'en avais pas, mais ils ne voulaient pas en démordre, et les coups se mirent à pleuvoir : gifles, coups de poing dans le ventre.
Après l'interrogatoire, je fus séparé de mes compagnons et enfermé dans une autre soue.
Le lundi les Allemands demandèrent des volontaires pour scier du bois de chauffage ; ma candidature fut refusée : il me fut répondu que j'étais zu gefâhrlich (dangereux).
Le mardi 18 Juillet, les feldgendarmes de Plouaret sont venus prendre "livraison" de Joseph Lepage, de Guy Hellequin, de mon père et de moi. Par la vieille route de Vieux-Marché, qui passe sur le Guer, à Pont-Koz, nous fumes transportés à la Pépinière de Plouaret, de sinistre mémoire.
Nous fumes enfermés dans la cuisine en attendant l'interrogatoire. Charles Grot (3) était avec nous, et un feldgendarme lui demanda ce qu'il faisait là. Il leur expliqua qu'il les aidait dans leur lutte contre les terroristes. Au cours de l'interrogatoire, ponctué de nombreux coups de nerf de boeuf, Guy Hellequin et mon père furent enfermés dans la partie droite du grenier, Joseph Lepage et moi dans la partie gauche.
Nous n'avons rien eu à manger du dimanche soir au mardi, juste un peu d'eau à boire.
J'étais interrogé en présence de Charles Grot (3), qui soutenait m'avoir vu avec une mitraillette le dimanche ; à un autre moment, il soutint m'avoir vu avec des grenades. Heureusement, les Allemands, qui notaient tout, ont pu se rendre compte qu'il mentait, alors que je n'avais pas varié dans mes déclarations.
Pourtant, j'ai vu, sur la table, un grand tas de billets qui devaient le récompenser de son aide. J'ignore s'il reçut de l'argent, mais je sentais que les Allemands n'éprouvaient pas beaucoup de sympathie pour lui. Il faut signaler que le "tarif" de chaque terroriste tué était de un million de francs. Quand on sait qu'un ouvrier agricole gagnait 20 F par jour, cela faisait une énorme somme obtenue facilement.
Une petite parenthèse, pour signaler que, le 3 Juillet 1944, deux maquisards, Le Du (4) et Géron (5) avaient été tués à Rubeus, route de Bégard, où un monument a été érigé.
Je pense que Charles Grot (3) et son père (6) se promenaient au bourg de Pluzunet en déplorant de ne pouvoir rien acheter puisque les magasins étaient vides.
J'ai de fortes raisons de penser que l'argent provenait du service rendu aux Allemands.
Le lundi 17 Juillet, Charles Grot (3) quitta la Pépinière pour rentrer chez lui à Pluzunet. au niveau du Scavet en Vieux-Marché, il fut intercepté par Jean Rivoallan, Jean Bonniec et mon frère, tous trois maquisards de Pluzunet.
Dès son arrestation Charles Grot (3) déclara à mon frère qu'il ne reverrait plus, ni son père, ni son frère vivants, en affirmant que ce qu'il avait dit à ses "amis" était suffisant pour le faire fusiller. En tout cas, lui dit mon frère, je crois que tu n'auras l'occasion de dénoncer personne.
En effet, après un jugement, il fut invité à prendre un bain dans le Poul-Havr, endroit le plus profond du Léguer, en amont du Pont du Losser.
Le vendredi 22 Juillet, son cadavre fut sorti de l'eau par des baigneurs.
La vie continuait à la Pépinière, coups, menaces : "Tu seras fusillé si tu ne dis pas la vérité".
Le lieutenant voulut me faire croire que mon père leur avait tout dit - sans précision - en leur disant que j'étais content pour eux. Au cours de la promenade quotidienne aux toilettes, mon père m'avait glissé "Neusket laret man bed de", ce qui veut dire : "Je ne leur ai rien dit".
Nous dormions à même le plancher, et, même au mois de juillet, les nuits sont fraîches, surtout que nous étions habillés légèrement.
Nous étions bien nourris, par l'intermédiaire de Madame Millour (10) du bourg de Plouaret.
Comme gamelle, j'avais une assiette où je devais boire mon café, d'autres avaient un bol.
Dans ma partie de grenier se trouvait, à mon arrivée, un dénommé Peron (7), qui avait été surpris à coller des affiches communistes. Son dos n'était qu'une plaie et le faisait terriblement souffrir. Il devait dormir sur le ventre.
Nous recevions à tout moment la visite de nos gardiens, et, chaque fois, ils secouaient le nerf de boeuf sous le nez de Péron (7) en lui disant : "Toi copain Staline, demain, tu seras fusillé".
C'est ce qui est arrivé.
Vers 14 heures, Péron (7) a été embarqué dans un camion, avec une pelle et une pioche. Son corps n'a jamais été retrouvé et ne le sera sans doute jamais.
Vers 15 heures du même jour, nous avons quitté la Pépinière pour nous installer en plein bourg de Plouaret.
Mon frère Yves, chef du maquis, avait fait courir le bruit qu'il allait attaquer la prison pour nous délivrer.
Dans le cantonnement situé au centre du bourg de Plouaret, nous fûmes enfermés dans des boxes d'écurie. Nous pûmes dormir sur des paillasses.
Le mercredi, nous avons nettoyé les vélos de ces messieurs. Je n'ai pas subi d'interrogatoire ce jour-là.
Le 20 juillet, je fus interrogé par le Lieutenant Alfred (8), qui avait été blessé à Kerauzern peu avant notre arrestation. Son bras droit était en écharpe, mais il me dit que son autre bras lui suffisait pour nous flanquer quelques coups. Il me fut dit que mon père avait tout révélé, et qu'il fallait que je fasse la même chose. Je fis la même réponse que précédemment.
Ma carte d'identité me fut rendue, et je pus repartir librement, à mon grand étonnement, car les Allemands savaient fort bien que mes deux frères étaient au maquis.
Le Lieutenant Alfred (8) avait demandé à mon père d'aller les voir. Mon père lui répondit qu'il ferait la commission, mais qu'il ne pouvait rien garantir d'autre.
Vers 14 heures 30, nous quittâmes le cantonnement ; ma mère nous attendait, et nous rentrâmes à Pluzunet après un détour à Kerhuellan, chez François Trémel.
Tous les jours de notre détention, ma mère se rendait à Plouaret pour demander notre libération.
Je dois ici rendre hommage à Ernest Le Guillouzic (9), grand mutilé de guerre 14-18, qui fut le seul à proposer à ma mère de l'accompagner à la Feldgendarmerie.
Je dois aussi remercier Madame Millour (10), qui nous apportait à manger, à la Pépinière puis au cantonnement.
Arrivé au terme de mon récit, Roger Le Morvan me fait observer qu'au cours de notre détention à Trégrom, nous avons connu une péripétie qui mérite d'être rapportée, car elle aurait pu se terminer en tragédie, tant, dans cette partie de notre histoire, la vie d'un homme ne comptait pas beaucoup.
Nous étions enfermés dans cette soue qui nous servait de prison, la peur au ventre en pensant au lendemain. C'est tout juste si nous échangions quelques mots de temps en temps.
D'un seul coup, Roger Le Morvan informe ses compagnons d'infortune qu'il tenait dans sa poche un petit carnet sur lequel il avait noté des moyens de communiquer à l'aide de notions de messages cryptés que nous avait donnés un professeur du collège de Lannion.
il s'agissait en fait de l'alphabet Morse permettant par un code télégraphique de communiquer avec d'éventuels amis.
Chacun d'entre nous donne son avis. Ce carnet était extrêmement dangereux, en cas de fouille, s'il arrivait entre les mains de l'officier allemand.
Le débat a été court. Nous étions convenus que, pour s'en débarrasser, il n'existait qu'un moyen : manger les feuilles dangereuses du carnet, ce qui fut fait.
J'espère avoir bien rapporté les événements dans leur réalité.
Léon Ollivier et Roger Le Morvan.