témoignages recueillis auprès de :
- Yves TASSE, demeurant Brélidy ancien FTP du maquis de Ploeuc-du-Trieux,
- Yves GUERLESQUIN, demeurant Pen-ar-Nec'h en Landébaëron, 16 ans à l'époque
- François MENGUY, demeurant le bourg de Landébaëron
Samedi 1er juillet 1944
Deux allemands à bicyclette venant semble t-il de Pédernec arrivent au bourg de Landébaëron, ils s'arrêtent à l'école. Un groupe de maquisards informé de leur passage décide de les attaquer, ils tentent un encerclement, des coups de feu sont échangés de part et d'autre, les deux Allemands se sentant en danger décident de rebrousser chemin. Il n'y aucun blessé des deux côtés.
Dimanche 2 juillet 1944
Au petit matin, vers 5 heures, des centaines d'Allemands venant de Pédernec et Saint-Laurent en véhicules de toutes sortes ainsi qu'en bicyclettes qu'ils déposent à Kergomo entre Saint-Laurent et Landébaëron. Ils se dirigent tout droit vers Landébaëron ratissant tout sur leur passage, plusieurs personnes sont prises en otages et emmenées avec eux.
Tous les témoins confirment qu'ils étaient très nombreux et avançaient espacés les uns des autres de dix mètres environ.
Plusieurs Résistants du secteur réussissent à passer entre les mailles des filets tendus par les Allemands.
Arrivés au bourg de Landébaëron, les Allemands sonnent le clairon, un ancien de la guerre 1914-1918, dira : "c'est pas bon signe", personne ne compris la signification de ce clairon, qui retentissait environ toutes les demi-heures, avec des tonalités différentes, tous les témoins trouvent lugubre cette sonnerie, était-ce un signal ? ou bien cherchaient-ils à démoraliser la population ?
Au bourg de Landébaëron, les otages sont enfermés dans une allée de boules couverte près de la maison de Monsieur RAOUL, d'autres personnes arrêtées au bourg et dans les environs viennent les rejoindre, certaines d'entre elles sont ligotées. Plusieurs dizaines de personnes vont ainsi se retrouver prises en otage.
L'abbé JACOB, curé de la paroisse est arrêté alors qu'il allait dire la messe au presbytère qui se trouvait à 800 mètres de l'église, il rejoint lui aussi les otages.
Certaines personnes sont sorties de leur lit et contraintes de rejoindre les otages, dans l'allée de boules.
Jean Le Gall, de Bégard, venant d'une autre commune et se rendant à Bégard, est arrêté à un barrage à Kerfichet en Kermoroc'h, l'Allemand après avoir vérifié ses papiers d'identité le laisse passer, quelques mètres plus loin, le revolver que Jean Le Gall porte sur lui tombe à terre, un Allemand se précipite et l'abat sur le bord de la route, son corps est abandonné sur place.
Jean Lorgeré (1), du maquis FTP de Plouisy, commandé par Louis Piriou, fait partie des personnes arrêtées et retenues dans l'allée de boules, il prétexte le fait qu'il est fiancé à la fille d'un commerçant du bourg, après avoir vérifié l'authenticité de ses déclarations les Allemands le relâchent. En mission ce jour là, il devait établir le contact avec le maquis de Squiffiec.
Jean Dugay de Pédernec, intégré depuis quelques jours au maquis FTP de Plouisy, est autorisé par son chef de maquis à passer chez lui à Pédernec afin de prendre des vêtements, au retour, à Croas-Névez, il veut rendre visite à sa copine, il est arrêté, il porte des chaussures anglaises ou américaines, le pauvre jeune homme est emmené au bourg de Landébaëron où il sera martyrisé à coups de poings, de pieds et de crosses de fusils et traité de sale terroriste.
Lors des interrogatoires, une mitrailleuse est pointée en direction des otages dans l'allée de boules, les Allemands manœuvrent cette arme à plusieurs reprises en direction des personnes arrêtées, laissant penser une fusillade.
Parmi les Allemands, plusieurs individus parlent en breton, ils portent l'uniforme de l'armée allemande , il s'agit d'autonomistes bretons qui ont choisi la voie de la trahison, ils participent de façon active aux arrestations et aux interrogatoires de la façon la plus brutale comme ils en ont l'habitude.
Ce 2 juillet 1944, le maquis FTP de Plouisy commandé par Louis Piriou, est installé à Plouisy à la limite de Kermoroc'h. Louis Piriou, informé de la rafle en cours, demande à deux maquisards du groupe, dont son frère Pierre PIRIOU et Henri Le Cozanet d'aller en mission, sans arme et sans signe compromettant au bourg de Landébaëron pour recueillir des renseignements sur la situation et évaluer si possible les intentions des Allemands. En cours de route, à Langouérat, Henri Le Cozanet veut s'arrêter dire bonjour à sa copine qui est employée chez Monsieur Kerambrun, résistant lui aussi, garagiste et qui possède une petite maison dans le village. Vers 14 heures, ils sont surpris à l'intérieur de la maison par les Allemands arrêtés et ligotés, ils iront rejoindre les autres personnes arrêtées au bourg de Landébaëron.
Les Allemands commencent à commettre des exactions de toutes sortes, chez Monsieur RAOUL, ils se jettent sur le vin entreposé dans le sous-sol, certains ne prennent pas le temps d'ouvrir les bouteilles, ils cassent le goulot avec leur poignard, mettant alors un mouchoir sur la partie coupante et s'abreuvent ainsi, le tissu servant de filtre.
Rapidement plusieurs sont ivres, le maire Hyacinthe LE BAIL, grand-père de François MENGUY est pris à partie, un Allemand lui retire son chapeau, le remplit de vin et lui remet sur la tête.
Une habitante se plaint auprès de l'officier allemand des exactions commises par ses hommes, l'officier accepte une confrontation entre cette dame et la troupe allemande, sans doute troublée elle ne peut reconnaître les coupables.
Dans plusieurs maisons du bourg, les Allemands obligent la population à leur faire à manger.
Des vols de nourriture sont commis.
Un hangar et quatre maisons sont mise à feu à l'aide de grenades incendiaires, chez Monsieur RAOUL, la grenade est jetée par le soupirail du sous-sol, dans l'instant qui suit les flammes sortent par le toit de la maison.
Quelques minutes sont laissées aux occupants pour récupérer quelques objets et valeurs.
Sont donc incendiées :
- la maison de Monsieur RAOUL, retraité, au bourg.
- la maison de Monsieur GAUTARD, retraité, au bourg.
- la maison du sacristain Pierre CLOAREC, au bourg.
- la maison d'un cultivateur, Francis PARIS, au bourg.
- le hangar de Monsieur Yves FIQUEMO à Kerrohan.
Un à un les prisonniers sont interrogés, les papiers d'identité sont contrôlés, tous sont relâchés dans l'après-midi, exceptés les trois FTP Jean DUGAY, Pierre PIRIOU et Henri LE COZANET.
Dimanche 2 juillet 1944, vers 15 heures
Les Allemands quittent le bourg, certains sont ivres, ils prennent la direction d'une zone qu'ils pensent être occupée par un maquis, renseignés sans aucun doute par un traître non identifié.
Jean DUGAY, Pierre PIRIOU et Henri LE COZANET sont conduits en soirée, enchaînés, sous les coups à la Feldgendarmeie de Guingamp boulevard de la Marne où ils subissent d'abominables tortures.
L'attaque du maquis de Landébaëron
Un maquis est installé depuis quelques temps à Bois-Meur (ar Hoat-Meur d'après la carte IGN) autrefois appelé Castel-Coz dans le secteur de Landébaëron au nord-est du bourg, il est commandé par Pierre FEUTREN, de Yvias, connu sous le nom de "Tonton PIERRE", le maquis est composé d'une centaine d'hommes venant principalement des secteurs de Pleubian, Plouézec... dont deux femmes. Le choix de cet emplacement n'a pas été fait au hasard, en effet, le camp est entouré de bois et de landes, dans lesquels on peut facilement se dissimuler.
Depuis cette époque d'ailleurs un champ ne porte plus son nom d'origine mais n'est plus connu que sous le nom Champ-du-Maquis.
Le maquis est bien organisé, une dizaine de guetteurs espacés d'environ 50 mètres assurent une surveillance serrée à travers landes et bois.
Un autre groupe d'Allemands venant de Guingamp prend la même direction.
Les Allemands avancent avec précautions, tirant de toutes parts, jetant ça et là dans les champs de blé des grenades, ils craignent d'être surpris par une attaque des maquisards.
Certains témoins ont cru voir Jean DUGAY, servir de bouclier humain aux Allemands, habillé et casqué en Allemand.
Avant que les Allemands arrivent au camp, tous les maquisards l'avaient évacué.
Yves TASSE, assurait la garde, il est averti par son camarade Louis GOAS d'un ordre de retrait, il sera le dernier à quitter le camp, blessé il devra se séparer de ses camarades durant 15 jours pour assurer des soins.
Albert THOMAS, originaire de Plouézec est tué lors de l'attaque du maquis.
Les maquisards traversent la route Guingamp - Tréguier sans encombre, sitôt franchi cette route, un déluge de feu s'abat sur eux en direction de Pommerit-le-Vicomte entre la voie ferrée Paimpol - Guingamp et la rivière le Trieux, une fois cette voie ferrée passée les coups de feu cessent.
C'est le lendemain 3 juillet que le FTP Jean LE TENFF originaire de Plouézec est assassiné par sans doute les mêmes Allemands à Ker-Jacob en Brélidy.
Quelques jours après les événements tragiques, Louis HOUEROU, jeune habitant de Goaz-Ardel en Landébaëron commet l'imprudence de passer à l'emplacement du maquis, il découvre un corps parmi les ronces, il se rend aussitôt chez le maire Hyacinthe LE BAIL qui lui demande d'aller récupérer le cadavre. Un rendez-vous est fixé pour le lendemain. Le lendemain, avec trois camarades volontaires Louis RICHARD, Yves PERROT et Yves FIQUEMO, ils retournent sur les lieux, attendant l'arrivée du maire. A leur grande surprise ils voient arriver les allemands, malmenés puis alignés contre un talus, ils pensent qu'ils vont eux aussi subir un sort tragique. A l'arrivée du maire, les allemands se calment et consentent alors à laisser embarquer le corps qui est ensuite inhumé au cimetière de Landébaëron, jamais l'identité de la personne ne sera connue, sa poitrine était criblée de balles, sans doute par une rafale de mitraillette.
Bilan de la rafle du 2 juillet 1944 à Landébaëron
La population
Elle est traumatisée ayant subie brutalités, humiliations et vexations de toutes sortes, le comportement des Allemands ayant fait craindre le pire.
Ceux qui ont vécu cette journée du 2 juillet 1944 à Landébaëron n'oublieront jamais la peur qu'ils ont ressentie, craignant de voir tout le bourg mis à feu et à sang.
Ils n'oublierons jamais la sauvagerie avec laquelle les Allemands les traitèrent se comportant comme des bêtes.
Six FTP assassinés ou tués
- Jean DUGAY originaire de Pédernec,
- Pierre PIRIOU originaire de Plouisy,
- Henri LE COZANET originaire de Guingamp,
arrêtés, torturés, martyrisés et assassinés, leurs corps sont retrouvés enterrés dans une fosse à Landébaëron le 12 juillet 1944 avec le corps lui aussi martyrisé de Yves HENRY originaire de Plounez arrêté le 6 juillet 1944 à Ploëzal. L'un avait l'œil crevé, un autre les deux yeux arrachés, tous les quatre portaient des traces de coups de crosses et de bottes. Jean DUGAY avait les ongles des mains et des pieds arrachés.
- Albert THOMAS, originaire de Plouézec tué lors de l'attaque du maquis à Landébaëron le 2 juillet 1944.
- Jean LE TENF, originaire de Plouézec, assassiné à Brélidy le 3 juillet 1944.
- Jean LE GALL, originaire de Bégard, assassiné à Kermoroc'h le 2 juillet 1944.
Les biens
- Quatre maisons et un hagard incendiés.
- Nombreux vols et pillages.
(1) Jean LORGERE : sera tué le 15 août 1944 dans un combat au cours de la Libération de Lézardrieux.
Témoignage de Louis PIRIOU, chef du maquis FTP de Plouisy
Une quinzaine de jours avant la rafle du dimanche 2 juillet 1944, notre maquis s'était installé aux alentours de la ferme du maire de l'époque Monsieur LE BAIL à Kerléo-Bras en Landébaëron.
Le mardi 27 juin 1944
Nous avons quitté Landébaëron pour venir nous installer à Kermoroc'h juste à la lisière de Plouisy dans un secteur boisé.
Le dimanche 2 juillet 1944, vers 9 heures
Jean DUGAY m'a demandé l'autorisation d'aller chez ses parents à Pédernec chercher des vêtements, il était en effet en tenue légère, je lui est accordé cette autorisation et il est parti vers 9 heures 30.
A cette heure nous n'avions aucune connaissance de ce qui s'était passé la veille au soir au bourg de Landébaêron (1), ni bien sûr de l'importante présence des Allemands sur le secteur de Kermoroc'h - Landébaëron.
Le dimanche 2 juillet 1944, vers 11 heures
Le cultivateur dont nous étions voisins et qui s'était rendu au bourg de Landébaëron est venu nous voir affolé : "Il y a des Allemands partout à Kermoroc'h et Landébaëron !". C'était un homme dévoué à la Résistance, il m'a offert de faire semblant de travailler dans son champ et de surveiller une possible venue des soldats Allemands dans notre direction.
Le dimanche 2 juillet 1944, vers 13 heures
Le cultivateur a fait une nouvelle reconnaissance et est revenu me dire que les Allemands étaient déployés dans les champs et venaient dans notre direction.
Jean DUGAY, qui devait revenir avant midi n'était pas de retour, ce qui était inquiétant. C'est alors que j'ai désigné mon frère Pierre et Henri LE COZANET pour une reconnaissance en direction de Saint-Laurent en vue de préparer un éventuel retrait dans cette direction.
Malheureusement pour eux, la fiancée de Henri LE COZANET était "bonne" chez KERAMBRUN au village de Langouérat et il voulut la saluer en passant.
Au moment où ils quittaient la maison, un groupe d'Allemands a envahi le village. Ils détenaient un prisonnier : Jean DUGAY, recouvert d'une capote allemande.
D'après deux habitants du village, dont une femme qui essaya de lui donner un peu de lait (elle m'a fait un récit détaillé) il avait été horriblement martyrisé et le fut à nouveau en leur présence (ce qu'elle m'a raconté dépasse l'horreur).
Je suppose qu'il a été arrêté le matin, peu de temps après avoir pris la route (il allait dans la gueule du loup sans le savoir).
Le dimanche 2 juillet 1944, vers 14 heures
J'ai entendu des véhicules s'arrêter sur la route séparant Plouisy de Kermoroc'h à environ 300 mètres de notre bois.
Jugeant le risque très important encouru, j'ai donné l'ordre à tout l'effectif de s'engouffrer dans un chemin creux menant à un taillis important qui donna une couverture à notre fuite.
C'était une question de quelques minutes, car à peine avions nous fait 200 ou 300 mètres, que les obus de mortiers s'abattaient sur le maquis, précédant l'attaque.
Nous avons malheureusement perdu trois hommes trois camarades : Pierre PIRIOU, Henri LE COZANET et Jean DUGAY.
Le 17 septembre 1944
Quatre corps martyrisés et mutilés sont retrouvés dans une fosse dans une lande près de Bois Meur, il s'agit de Jean DUGAY, Yves HENRY, Henri LE COZANNET et Pierre PIRIOU.
(1) attaque d'un groupe d'Allemands par quelques maquisards.
Jean DUGAY
Pierre PIRIOU
Henri LE COZANNET
Louis PIRIOU
Jean LE TENFF
Jean LORGERE
Yves HENRY
DUGAY Jean
Né le 11 janvier 1922 à Pédernec, demeurant à Pédernec, boulanger.
HENRY Yves
Né le 28 mars 1920 à Plounez, marin d'état revenu à Plounez après le sabordage de la flotte à Toulon, FTP.
le 6 juillet 1944, est arrêté par les Allemands à Ploëzal avec l'aide de miliciens autonomistes.
LE COZANET Henri
Né en juillet 1924, originaire de Guingamp, mécanicien.
LE GALL Jean Louis Georges
Né le 14 octobre 1924 à Guingamp, marin, demeurant à Bégard.
LE TENFF Jean
Né le 27 août 1923, à Kerouly en Plouézec, fils unique et orphelin de père, monteur électricien, demeurant Plouézec avec sa mère et sa grand-mère.
LORGERE Jean
Né le 15 août 1924, originaire de Guingamp.
PIRIOU Pierre
Né le 11 avril 1926 à Langoat, célibataire, cultivateur, demeurant au Moulin GEFFROY en Plouisy.
THOMAS Albert
Né le 29 octobre 1917 à Plouézec, célibataire, demeurant à Kerissac en Plouézec.