Quand le bâtiment quitta le port de Dunkerque, le jour était pratiquement levé.
Au cours de la traversée, nous avons subi plusieurs attaques de l'aviation allemande. Un avion allemand est passé en virant au-dessus de nous, il devait être à environ 200 m d'altitude, il a lâché un chapelet de cinq bombes ou torpilles, comme j'étais près du bastingage, une bombe est tombée à environ 1.5 m de moi, j'ai ressentis le souffle de son passage, elle a sans doute explosé sous l'eau puisqu'il s'en suivi d'importantes vibrations secouant tout le bâtiment, un jeune cuistot est monté sur le pont en demandant : "qu'est ce qui se passe tout vibre à l'intérieur ? ", et le vigile de lui répondre : "tu peux descendre c'est terminé".
Un épais nuage de fumée entourait le bâtiment après le passage des torpilles, peut être que le commandant ordonna "en avant toute" pour les machines, Marcel TROUBAT, épicier originaire de Persac dans la Vienne croyant qu'il y avait le feu à bord chargea son sac à dos paré à sauter à l'eau, il était juste à côté de moi, son geste m'a un peu étonné.
L'assaut dura environ 15 mm. Quelques pièces d'armement du bord tentaient de couvrir la traversée en tirant sur les avions. Etant placé sous une des mitrailleuses de 12.7 mm, je reçus sur mon casque une rafale de ce que je crus être un instant des balles allemandes, en fait c'était les douilles éjectées de la mitrailleuse qui rebondissaient sur mon casque.
Lorsque nous sommes passés au large de Calais, nous avons subi un tir d'artillerie, sans toutefois être touchés. J'ai su depuis qu'il y avait trois routes pour rejoindre l'Angleterre, c'était la route Z (appelée aussi route côtière) que nous avons emprunté. Elle était la plus directe faisant 39 miles soit environ 72 km. Les autres parcours étaient plus longs afin de contourner les zones minées.
Un autre avion nous survola, le vigile donna l'ordre au gars servant la mitrailleuse de tirer en sa direction, ne connaissant pas ce type d'avion il le pris pour cible, en fait c'était un avion anglais, un HURRICANE, par chance il ne fut pas atteint, le pilote manœuvra son avion pour lui provoquer plusieurs battements d'ailes afin de montrer qu'il n'avait aucune intention agressive à notre encontre. Un groupe d'avions allemands prenant la direction de l'Angleterre nous survola, mais nous ne devions pas être un objectif pour eux.
En cours de traversée nous avons doublé plusieurs petites embarcations avec à bord parfois trois à quatre personnes, chacun se débrouillant comme il pouvait pour rejoindre les cotes d'Angleterre.
La traversée dura environ deux heures, et finalement nous avons réussi à rejoindre Douvres en Angleterre et accoster sur un quai. Par chance, notre bâtiment ne fut pas touché et aucune victime à bord ne fut à déplorer. Ce ne fut pas le cas pour tous les autres navires qui furent nombreux à être coulés lors de leur tentative de traversée (243 navires coulés). Ce n'est qu'arrivés à Douvres que nous avons pu boire à volonté, mais j'étais toujours en chemisette. Ce n'est que plus tard que je réussis à me procurer une couverture.
Le 4 juin 1940, l'opération Dynamo s'achevait ; le drapeau à croix gammée flottait sur le beffroi de Dunkerque. En neuf jours, 338226 combattants dont 123095 Français seront évacués, dans des conditions inouïes.
L'opération Dynamo dura officiellement du 27 mai à 18h57 jusqu'au 2 juin à 23h30 après le départ du dernier contingent de Britanniques mais la rotation des navires se poursuivit jusqu'au 4 juin. 227000 Britanniques, 123000 Français, 16000 Belges et Hollandais sont passés en Angleterre. Sur près de 1000 bateaux engagés (du simple yacht aux navires de guerre), l'opération aura coûté la perte de 243 navires.