Le jour anniversaire de l'avènement d'Adolf HITLER, les Allemands arrêtèrent deux jeunes qui demeuraient au Manaty en Louargat PESTEL et TURQUET.
Bien souvent ces arrestations avaient pour but de vérifier si les jeunes étaient dans la "légalité", c'est-à-dire s'ils n’étaient pas réfractaires au STO.
Ce jour là, les Allemands étaient très excités, lors de leur passage dans le bourg, l'un de ceux qui encadrait le groupe, un petit, écumait de bave. Il me bouscula, me poussant contre le mur de Pierre GUEGAN, rue Pors-Marzin (sous l'Occupation, lorsque l’on croisait un Allemand sur un trottoir, on devait s’écarter pour lui laisser la place : peut-être pensait-il que je ne m’étais pas écarté assez vite).
Les jeunes gens arrêtés furent conduits à l'ancienne école des filles située sur la route nationale 12 à l'ouest du bourg, lieu de casernement des militaires allemands. Il faisait très froid, les jeunes étaient en plein air, exposés au vent sous le préau de l'école.
Pierre GUEGAN, commerçant au bourg, chez qui je travaillais, après avoir discuté nous avons décidé d'apporter aux jeunes gens des couvertures pour la nuit. Quand nous sommes arrivés à l'école, un officier est sorti en hurlant. Je ne comprenais pas ce qu'il disait mais Pierre, lui, ayant appris l'allemand à l'école me dit : "Armand il ne faut pas rester ici". Nous avons vu sortir de l'école un soldat allemand (précisément celui qui m'avait bousculé) qui armait son fusil. Pierre s'est enfui en direction du monument aux morts, j'ai hésité quelques secondes, puis je l'ai rejoins.
Quelques jeunes garçons étaient regroupés ou de passage devant le cantonnement, il était environ 18h, c’est à ce moment là qu’un coup de feu est parti venant de la cour du cantonnement. La balle passa entre le poteau électrique et l'angle de la maison de Xavier STEPHAN, écornant la cornière et un volet. Deux autres coups de feu suivirent. Avant d'arriver au monument, comme j’échangeais quelques mots avec Pierre, une personne est venue nous prévenir que des enfants étaient blessés. Nous sommes retournés sur nos pas, un attroupement s'était formé.
Le petit Jean LE GALL âgé de dix ans, fils de Marcel et de Marie LE FUR était allongé sur la route.
Le jeune Raymond COIC âgé de treize ans, fils de Jean et d'Angèle BRIAND bien que blessé, il saignait de la tête, réussit à rejoindre son domicile par ses propres moyens.
Les pères de ces deux enfants étaient prisonniers en Allemagne, quant à leurs mères elles tenaient chacunes un débit de boisson - restaurant et entretenaient avec les Allemands des relations très cordiales.
Les deux enfants avaient donc été blessés par des éclats de balles explosives.
L'officier allemand qui avait donné l'ordre de tirer s’était approché. Nous étions là, Pierre et moi avec nos couvertures. J'ai demandé à l’officier : "Qu’est-ce que vous allez faire ?" Il avait l’air gêné. Je lui ai demandé de faire transporter les blessés à la Clinique Saint-Sauveur de Guingamp. Un véhicule allemand a été amené sur place. Dans la cabine, avec le conducteur se trouvait un lieutenant allemand, à l'arrière avaient pris place le petit Jean LE GALL et Raymond COIC allongés sur une civière ainsi que Marie LE FUR la mère de Jean LE GALL et Victorine CONNAN qui était venue pour aider. Tout au long du transport, Jean LE GALL voulu que je reste près de lui, il n'aimait pas les Allemands, tout le monde le savait, il n'acceptait pas de manger à leurs côtés dans le restaurant que tenait sa mère, d'autant que son père était prisonnier en Allemagne. Sa mère voulu s'approcher de lui, il la repoussa, il savait qu'elle entretenait des relations ambiguës avec les Allemands, mais elle n'a pas dénoncé qui que ce soit, à ma connaissance, elle fut par ailleurs tondue à la Libération, les gens lui reprochant de s'enrichir avec les Allemands.
A la Clinique Saint-Sauveur de Guingamp, Raymond COIC reçu des soins pour panser ses blessures, puis après un certain temps d’attente, nous avons été prévenus que Jean LE GALL ne pourrait pas rentrer à la maison et nous sommes donc rentrés à Louargat dans le véhicule allemand.
C’est le docteur RIVOALAN qui a opéré Jean LE GALL. Il avait déjà eu l'occasion de rendre de grands services à la Résistance en opérant nos camarades blessés. Malheureusement, nous avons appris que le petit Jean était mort à 23h30. Il avait onze ans. Son nom figure sur le monument aux morts de Louargat comme victime civile.
Dans La Bretagne à l'Epreuve d’Alain LE GRAND et Alain LE BERRE, à qui ont été confiées les archives allemandes, précieux et irréfutables documents tombés entre les mains des Alliés, et traduits de l'allemand par le Commandant EVEN, les faits relatés, figurent page 378, et sont résumés ainsi :
"
30.01.44 à Louargat (13 km O de Guingamp), jeune Français de 9 ans tué par coup de semonce au cours d'un contrôle effectué par la troupe dont la responsabilité n'a pas été retenue ".
L'occupant nia ses responsabilités, la gendarmerie de Belle-Isle-en-Terre fut chargée de faire une enquête, j'ai donc été convoqué pour leur donner ma version des faits ainsi que Pierre GUÉGAN, c'est chez lui que notre témoignage a été recueilli. Les conclusions du procès verbal stipulent que l'individu devant la caserne que visaient les coups de feux était inconnu — et cela dans le but de m'éviter des ennuis. Les gendarmes Jean SEVEN, Gustave LE CORRE et Léon MOULAC participèrent à cette enquête. Quant aux jeunes gens arrêtés ils furent libérés au bout de 24 heures.
En janvier 2009, Raymond COÏC est venu à mon domicile pour me demander de lui faire une attestation concernant cette journée du 30 janvier 1944 : il ressentait des douleurs à la tête ; or, un examen médical révéla la présence d'éclats de métal dans son crâne. Il envisageait d'entreprendre des démarches pour obtenir une pension. |