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FIN OCTOBRE 1942 : UN POSTE ÉMETTEUR POUR LE GROUPE MANOUCHIAN
Quelques jours après notre mariage à Saint-Éloi en Louargat au mois de juillet 1941 avec Clémence nous sommes partis rejoindre la région parisienne afin de trouver du travail.

C'est ma marraine et cousine Joséphine MORVAN "Fine" qui demeurait au 32 rue Jean-Louis Louet à Colombes qui nous a hébergé environ 5 semaines. Grâce au mari à Fine, Eugène COSSIN "Gégène" nous avons trouvé à nous loger dans une petite location composée d'une cuisine et d'une chambre au 1er étage du 2 rue Jean Bonnal à La Garenne-Colombes, juste à coté du central téléphonique de Charlebourg sur lequel il y avait une sirène et à proximité de la soufflerie d'Hyspano-Suiza qui servait aux allemands pour tester leurs moteurs d'avion.

Clémence réussi à trouver un travail comme femme de ménage dans un hôtel occupé par les Allemands situé à proximité de notre domicile, l'hôtel de "L'Embranchement" à Courbevoie.

Le 6 août 1942, Serge est né à Neuilly-sur-Seine rue de Chezy à proximité de la Seine, il pesait 3.720 kg et reçu la visite de Jean LE LAGADEC, le frère de Clémence.

Nous avons reçu mon beau-frère Eugène LE LAGADEC et Jean LE GARS venant Louargat, de passage à Paris pour partir en Allemagne au Service du Travail Obligatoire (STO), j'ai tenté de les convaincre de ne pas partir mais il n'y a rien eu à faire.

Je réussis à me faire embaucher durant deux mois environ aux cokeries du Gaz de France de la Seine à Gennevilliers, ensuite dans une entreprise de Colombes, rue de Bellevue, MENEL, fabriquant de semelles de caoutchouc. C'était une petite entreprise de sept à huit ouvriers. Je travaillais au poste du laminoir de caoutchouc. Dans l'entreprise voisine, un camarade me jetait par dessus le mur des câbles que je récupérais suivant un ordre reçu et que je remettais à René VINCENT pour fabriquer des postes émetteurs. Je n'ai jamais vu ce camarade, seul René VINCENT était en relation avec lui. C’était le voisin de ma marraine, un militant communiste. Mis en confiance par mes opinions antinazies, il me montra ce qu'il faisait pour la Résistance. René était paraplégique. Habitant 30 rue Jean-Louis Louet à Colombes, il était radio amateur et fabriquait des postes émetteurs pour le groupe MANOUCHIAN. Nous ne l'avons su qu’après la Libération. Je l'aidais à réaliser ces postes émetteurs, je m'occupais de la fabrication des châssis à partir de cornières en acier provenant de lits récupérés à la ferraille par un nommé LAMBERT. René avait dans son sous sol un petit atelier équipé d'une petite perceuse à colonne, les éléments de ces châssis étant assemblés par rivetage. Toutes les pièces provenaient de matériaux récupérés par des camarades travaillant dans différentes entreprises. Le poste émetteur tout monté était encombrant et lourd, les lampes le composant avait un volume se rapprochant d'une bouteille de 75 centilitres.

René hébergeait une famille de communistes, les CONRAD. Le mari, arrêté par les Allemands, était incarcéré à Melun en attendant son départ pour Mauthausen. Son père devait être fusillé. René travaillait dans le sous-sol de sa maison. Il avait installé une sonnerie reliée à l'étage ou Madame CONRAD habitait pour qu’elle l’avertisse en cas d'arrivée d’Allemands, ce qui lui sauva la vie. Un jour, voyant les Allemands arriver, Madame CONRAD actionna la sonnerie, ce qui permit à René de s'échapper par l'arrière de la maison. Il entra dans la clandestinité et partit en train se cacher chez une sœur à lui, vers Pontoise. Sans doute avait-il été dénoncé.
Il avait fabriqué un poste émetteur prêt à être livré. Au cours de la fouille les Allemands ne trouvèrent rien, alors qu’il avait caché diverses pièces détachées dans des bidons de lait et que le poste était dans un sac de jute, placé bien en évidence.

Ma marraine me mit au courant de la présence du poste et j’allai voir Madame CONRAD quelque temps après pour prendre possession du poste. Vers 18 h, il faisait complètement nuit. C'est dans une petite remorque que je l'ai chargé, en vue de le cacher dans le grenier de mon logement. La petite remorque d'une main, le vélo de l'autre, je suis parti. J'avais environ deux kilomètres à parcourir, et je devais passer un pont et emprunter le grand boulevard de la rue de Paris (avant et après guerre, rue Henri Barbusse) qui était souvent sujet à des contrôles. Je faillis d'ailleurs être intercepté à deux barrages. Au premier barrage, tenu par des soldats allemands, deux cents mètres avant le pont de chemin de fer de la Puce, la rue était bordée de platanes, je réussis à passer calmement sans être contrôlé. Au deuxième barrage, tenu par la police de Vichy, sur le pont de la Puce, là aussi je suis passé sans être contrôlé. Clémence m'aida à mettre le poste dans le grenier, il pesait environ 25 kg. Il nous fallut mettre une chaise sur la table de la cuisine pour pouvoir y accéder. Lors de cette opération, entendant des cris dehors, nous crûmes que nous avions été repérés ou dénoncés. En fait, une personne n'avait pas vu la remorque ; elle était tombée à terre et pestait contre le propriétaire du petit véhicule, ouf !

Quand j’ai été requis pour partir travailler en Allemagne, nous avons décidé de quitter la région parisienne pour retourner à Louargat et étions bien ennuyés que personne ne se manifeste pour récupérer ce poste. Quelques heures avant notre départ, un homme au fort accent étranger s'est présenté. Après une brève discussion, il a pris possession du matériel. J'ai su par la suite que c'était un Polonais qui fut, plus tard, fusillé par les Allemands au Mont-Valérien à Suresnes, ce poste était destiné au groupe de Missak MANOUCHIAN.
Connu par le film L'Affiche Rouge, le groupe exécuta de nombreuses actions contre l'ennemi ; il était composé de Résistants immigrés appartenant aux FTPF de la MOI (Francs Tireurs et Partisans Français de la Main d'œuvre Immigrée), Missak MANOUCHIAN et ses vingt et un camarades furent fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944.
Ce même jour, trois jeunes du lycée Anatole LE BRAZ de Saint-Brieuc étaient exécutés au même endroit pour avoir abattu un soldat allemand en gare de Plérin au mois de décembre 1943, ils avaient tous les trois dix-huit ans et s'appelaient Georges GEFFROY, Pierre LE CORNEC et Yves SALAUN.

Donc, au mois d'octobre 1942, j'ai refusé d'obtempérer à l'ordre de réquisition d'aller travailler en Allemagne pour la relève (trois travailleurs en Allemagne pour un prisonnier de guerre français en Allemagne libéré, loi de Vichy de septembre 1942). Avant de retourner à Louargat, je suis allé à la caserne de la Pépinière à Paris pour toucher la prime de deux cents francs et la paire de bleus de travail qui nous étaient attribués.

Après la Libération, René VINCENT s'équipera de différents matériels de radio amateur lui permettant de communiquer avec pratiquement toute la planète. Du fait de son handicap il travailla à domicile de nombreuses années dans la réfection des chaussures, c'est à dire comme cordonnier, puis il trouva un emploi dans une entreprise de matériel électrique. Il sera élu conseiller municipal sur une liste présentée par le Parti Communiste Français, diffusa l'Humanité Dimanche hebdomadaire du PCF se déplaçant sur un véhicule à 3 roues, une à l'avant et deux à l'arrière. Il hébergera aussi un militant clandestin responsable du Parti Communiste Espagnol.

Soulagés d'avoir transmis le poste émetteur, le soir même, nous avons pris tous les trois (car Serge était alors né), le train gare Montparnasse pour retourner à Louargat. Il y avait un monde fou, les trains étaient pris d'assaut, il était impossible d'aller aux toilettes, les gens rentraient par les fenêtres. Clémence, avec Serge qui avait alors dix semaines, a pu trouver une place assise, quant à moi j'ai fait tout le trajet debout. Le voyage durait huit heures environ à l'époque. Quand nous sommes arrivés à la gare de Belle-Isle-Bégard, il faisait froid et Serge a attrapé une bronchite. Il devait rechuter d'ailleurs à plusieurs reprises par la suite.

Nous sommes allés demeurer chez ma belle-mère, Francine LE GUERN, au 3 rue de Saint-Éloi à Louargat, après avoir passé quelques jours à Kerhouën route de Saint-Éloi.

Louis LALÈS m'a contacté pour savoir si je voulais bien le rejoindre pour engager la lutte afin de chasser l'occupant, je lui ai donné mon accord. De ce fait, il m'a présenté Roger MADIGOU, que je connaissais déjà.


à droite la maison de ma maraine Fine Morvan épouse COSSIN, située à côté de celle de René VINCENT


Serge TILLY devant la maison de René VINCENT
(paraplégique qui fabriquait des postes émetteurs pour le groupe de Missak MANOUCHIAN) rue Jean-Louis Louet à Colombes





mon camarade Louis LALES