NUIT DU 5 AU 6 AVRIL 1944 : TENTATIVE D'ARRESTATION |
Depuis notre retour de Colombes en octobre 1942, nous vivions, Clémence, Serge et moi, à l'actuel numéro 3 rue de Saint-Eloi au bourg de Louargat, dans la maison appartenant à ma belle-mère, Francine LE GUERN veuve LE LAGADEC qui de son côté demeurait à Kerhoën sur la route de Saint-Éloi. Nous occupions, avec Eugène LE LAGADEC, mon beau-frère, le premier étage. Le rez-de-chaussée était occupé par un locataire, Emile LE BONNIEC. |
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implantation des lieux en 1944
La configuration de la maison nous a été favorable du fait que son accès ne pouvait se faire que de par la façade donnant sur la rue. La maison était en fait enclavée. A l'arrière de la maison une petite fenêtre située à mi étage donnait sur un terrain appartenant à la famille GUEGAN. |
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rendez-vous avec Roger MADIGOU |
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les Feldgendarmes de Plouaret arrivent à Louargat |
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nous nous échappons par l'arrière de la maison |
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premier retour vers la maison |
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notre passage à Kerléo |
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deuxième retour vers la maison |
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notre passage à Crec'h Saladen |
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notre passage à Kerello |
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Germaine LE FAUCHEUR épouse OMNES se souvient encore en 2009 |
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Jeanne FALEZAN épouse IRAN, se souvient encore elle aussi en 2010 |
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notre passage à Trégrom |
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notre arrivée en lieu sur à Pluzunet |
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nous changeons de secteur |
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à Louargat pendant ce temps là |
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témoignage de Christiane NOUET |
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les gendarmes de Belle-Isle-en-Terre appelés par les Feldgendarmes de Plouaret |
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voir une vidéo sur Youtube |
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une grande chaîne de solidarité humaine |
Rendez-vous avec Roger MADIGOU
Ce soir-là vers 21 heures, j’avais rendez-vous avec Roger MADIGOU à mon domicile, j’avais prévenu les personnes qui devaient me rendre visite de ne pas entrer dans la maison si elles apercevaient quelqu’un roder dans les environs. Arrivé devant chez moi, Roger aperçut dans la nuit une personne qui faisait les cents pas, c'était le docteur Marc DASSONVILLE. Respectant la consigne, il mima une envie pressante qu'il simula contre le mur en retrait de l'atelier attenant à mon domicile, puis, le docteur hors de vue, Roger entra chez nous et après avoir discuté de la situation il repartit vers 22 heures 45. |
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en savoir plus sur le docteur Marc DASSONVILLE
Les Feldgendarmes de Plouaret arrivent à Louargat
Vers 1 heure 30 à 2 heures du matin, surgit un groupe d'Allemands (5 présents au moment où les gendarmes de la brigade de Belle-Isle-en-Terre vinrent dresser un procès verbal) venant de la Feldgendarmerie de Plouaret, avec, à leur tête, le sinistre METTEI lieutenant tortionnaire de Plouaret (1).
N'ayant pas trouvé le secrétaire de mairie pour leur indiquer mon domicile, ils frappèrent à la porte de Madame MARZIN (Jeanne-Marie KERGUIDUFF), épouse de l'entrepreneur et ancien maire de la commune demeurant à l'angle de la route de Trégrom et de la rue Pors-Marzin à environ 300 mètres de chez moi. Contrainte par l'ennemi de les conduire à mon domicile, elle eut le sang froid et l'intelligence d'indiquer aux Allemands la maison voisine mitoyenne. Me connaissant, elle savait très bien où je demeurais.
Ils frappèrent d’abord à coup de crosses de fusils et de poings à la porte de Madame veuve RIOU Marie (Maï) née LE COLVÉ. Elle leur ouvrit. Ils furent très étonnés en entrant de voir étalé partout du linge de soldats allemands mis à sécher. Madame RIOU faisait la lessive de soldats allemands pour se procurer de quoi vivre.
Nous fumes réveillés par le tapage provoqué par l'occupant. La présence d'esprit de Madame MARZIN nous donna le temps, à mon beau-frère Eugène LE LAGADEC et moi de nous habiller sommairement sans nous chausser, enfilant uniquement nos chaussettes.
(1) il fut abattu lors d'une embuscade à la Lande en Ploubezre le 17 juin 1944 par un groupe de 5 FTP commandé par Corentin ANDRE le capitaine MAURICE, groupe dans lequel figurait un déserteur autrichien enrôlé de force dans l'armée allemande Franz PETREI, c'est d'ailleurs lui qui abattit le tortionnaire d'une balle explosive dans la poitrine. Mon fils Serge le retrouva en 2000 et depuis des liens d'amitiés se sont établis avec ses trois filles et ses petits enfants . |
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Nous nous échappons par l'arrière de la maison
Nous n'avions pas d'autre choix que de nous échapper par une petite fenêtre de 40 cm sur 30 cm environ, située à l'arrière de la maison entre le rez-de-chaussée et l'étage donnant sur la cour de Pierre GUÉGAN commerçant au bourg. Eugène s'engagea le premier par cette lucarne les pieds en avant, déjà les Allemands frappèrent à la porte à coup de crosse de fusils, au moment où je m'échappais par la fenêtre, j'entendais les voix des Allemands qui entraient dans la maison.
C'est mon épouse Clémence qui leur ouvrit la porte, les Allemands saisirent Émile LE BONNIEC croyant qu'il était l'homme recherché, il lui fallut décliner son identité avant d'être relâché.
Cette fenêtre était fixe ne pouvant s'ouvrir, depuis un moment Clémence me conseillait de démonter le châssis afin de nous permettre de fuir en cas de perquisition, voyant que je ne faisais pas le travail, elle entrepris de le faire elle même, c’est ce qui nous a sauvé la vie.
La fenêtre était à environ trois mètres du sol et la réception au sol lors du saut fut difficile : nous étions en chaussettes, n’ayant pas eu le temps de nous habiller complètement, et le sol était jonché de détritus de toutes sortes : pierres, bouteilles, ferrailles... Nous avions froid aux pieds, la gelée blanche couvrait le sol, et nos pas laissaient des traces... De plus, nous ne savions pas où aller. |
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Premier retour vers la maison
La présence des Allemands dans notre maison nous inquiétant, nous sommes revenus vers la maison, en passant par Toullan, en bas du bourg, puis nous nous sommes cachés à l'entrée du chemin appelé Hent-Kuz (2). De là, nous pouvions voir la maison située à quarante mètres environ. Il y avait un beau clair de lune et, comme la lune était derrière la maison, la façade se trouvant dans la pénombre, de l'endroit où nous étions postés, nous avions l’impression de voir une silhouette debout devant la maison. Juste à côté de nous, à l'angle de Hent-Kuz (2), il y avait un tas de cailloux et nous nous sommes mis à en jeter vers la silhouette qui s’est aussitôt déplacée. Nous nous sommes dit qu’il valait mieux ne pas trop traîner par là.
Par la suite, nous avons appris que notre visite n'était pas passée inaperçue et que les Allemands s'étaient lancés à notre recherche : en bordure du chemin de Hent-Kuz (2), il y avait un champ de blé, et l'ennemi, nous croyant cachés dans ce champ, avait jeté plusieurs grenades à l’aveuglette.
(2) Hent-Kuz (le chemin caché) est un petit chemin qui rejoint la route de Saint-Éloi à la route de la gare de Belle-Isle-Bégard. Il servait autrefois de toilettes publiques et de vide pots aux habitants du quartier. Il fallait faire très attention où l'on mettait les pieds. |
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Notre passage à Kerléo
Quittant les lieux aussi vite que nous le pouvions, nous avons traversé la campagne en direction de Saint-Éloi et, vers trois heures, à la hauteur de Kerléo, nous avons frappé à la porte de Guillaume JEZEQUEL, un sympathisant à la cause de la Résistance auquel je distribuais régulièrement la presse clandestine. On nous a servi un café. Comme nous étions toujours pieds nus, nous avons demandé si l’on n’avait pas de quoi nous chausser. On nous a donné des sabots beaucoup trop grands mais avec des bouchons de foin, ça pouvait aller. |
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Deuxième retour vers la maison
Aux environs de cinq heures, nous nous sommes mis en route à nouveau vers notre domicile, tantôt à travers champs, tantôt par la route, et quand nous sommes arrivés en haut de la côte de Toullan, soit à l'angle de Hent-Kuz, le jour commençait à pointer. Alors, nous avons vu ce qui nous semblait être des femmes en longues robes et, pensant que les commères du quartier s'étaient rassemblées pour commenter les événements, nous nous sommes approchés. Soudain, nous avons entendu des ordres secs en allemand et nous avons compris que les femmes aux longues robes étaient des Allemands dans leurs longs manteaux. Nous avons dévalé à toute vitesse la côte de Toullan en vue d'escalader en bas de la côte un talus assez haut. Déjà les Allemands nous poursuivaient, ils n’avaient eu qu’à prendre nos deux vélos entreposés à notre domicile, ils nous gagnaient de vitesse. Monté sur un vélo, la mitraillette accrochée à son cou en bandoulière, bringuebalant de chaque côté, un Allemand a réussi à me mettre la main à l’épaule et me saisir. Je l’ai repoussé, l'expédiant dans la douve. Nous avons traversé un premier petit champ, puis un deuxième, beaucoup plus grand, appartenant aux BLEVENNEC. Il y avait là un petit talus qui séparait ce dernier champ d'une prairie. Le long de ce talus passait un petit ru à l’eau stagnante. Au moment de sauter par-dessus le talus, comme je passais le premier, mon pied s'est pris dans un fil de fer caché par les herbes et je me suis retrouvé le nez dans la vase de cette prairie.
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Notre passage à Crec'h Saladen
Nous avons rejoint Crec'h-Saladen par la route de Trégrom. Nous voulions aller prévenir Émile LE COSQUER, né le 6 décembre 1906 à Belle-Isle-en-Terre, boulanger, père de trois enfants, connu à Louargat pour être un militant communiste, qui habitait Kerello et qui faisait partie de notre groupe. Des traces de pneus sur la route couverte de gelée blanche attestaient le passage d'une voiture, et nous avons pensé que ces traces provenaient de voitures allemandes : était-on venu arrêter notre camarade ? Près de chez lui, les traces de la voiture s'arrêtaient et des traces de demi-tour étaient visibles. De fait, les Allemands avaient bien arrêté Émile.
Ce n'est pas le fruit du hasard que les allemands simultanément sont venus arrêter Émile LE COSQUER et tenter de m'arrêter. Dans une lettre écrite le 13 septembre 1945 Jean-Marie MADIGOU nomme Marc DASSONVILLE comme étant le dénonciateur d'Émile.
Émile LE COSQUER, fut conduit à Saint-Brieuc, où il subit un interrogatoire très brutal, parlant le français avec difficultés, il fut relâché au bout de quelques jours. |
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Emile LE COSQUER

Notre passage à Kerello
Nous nous sommes rendus chez Baptiste GEFFROY à Kerello. Il nous a proposé de rester là un moment, et nous a servi un repas pour midi. Quelque temps après, nous nous sommes installés au pied d'un talus dans un verger, il faisait très beau, le soleil était chaud. Nous voulions nous reposer en attendant de pouvoir rejoindre Loc-Envel à la nuit. Vers 14 heures le directeur de l'école publique, Jean CLECH, qui passait par là nous a dit : "Tout va bien, ne bougez pas pour le moment". Peu après, Alexis LUYER et François JEZEQUEL, allant abattre du bois à proximité, nous discutames un petit moment avec eux et ils nous tinrent à peu près les mêmes propos : "Tout va bien, ne bougez pas". C'est alors que nous avons entendu des coups de feu venant de la direction de la nationale 12. Nous avons su par la suite que les Allemands procédaient à l'arrestation de Roger MADIGOU, à Kerbaul près de Saint-Paul, nous étions à ce moment là à environ 1.5 km de cet endroit.
Environ une heure après, des bruits de moto ont attiré notre attention. Nous étions encore à nous interroger sur ces bruits bizarres quand, d'un seul coup, les deux bûcherons Alexis LUYER et François JEZEQUEL qui se trouvaient à une centaine de mètres de nous se sont mis à crier en breton : "Erru a reont warnoc'h" (ils arrivent sur vous). Eugène LE LAGADEC m’a chuchoté : "Qu'est ce que ça veut dire ?". Je lui ai répondu : "Je ne vois pas non plus", quand, relevant la tête, j'ai aperçu, à environ quinze mètres au-dessus de nous, un officier allemand à cheval, qui scrutait l'horizon avec ses jumelles. Il cherchait au loin mais ne regardait pas auprès de lui. Nous nous sommes laissés rouler du talus dans le fossé et, de là, nous l'avons longé pour sortir du champ de vision de l'officier, puis nous avons traversé la cour d’Henri LE FAUCHEUR à Kerello et nous avons rejoint des prairies en contrebas. |
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Roger MADIGOU
Germaine LE FAUCHEUR épouse OMNES se souvient encore en 2009
J'habitais à l'époque Kerello, j'ai aperçu deux hommes franchir un talus, sans savoir qui ils étaient, puis peu de temps après des Allemands à cheval visiblement à leur poursuite, Armand TILLY et Eugène LE LAGADEC traversèrent notre cour, ils l'avaient échappé belle. |
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Jeanne FALEZAN épouse IRAN, se souvient encore elle aussi en 2010
J'habitais à l'époque Kerello, je revois encore Armand TILLY et Eugène LE LAGADEC passer dans mon village, plusieurs Allemands à cheval étaient à leur recherche, l'un d'eux, un officier déclara : "si on ne retrouve pas les terroristes on mettra le feu à tout le village", nous avons eu très peur, Armand et Eugène eurent vraiment de la chance de leur échapper. |
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Notre passage à Trégrom
Ensuite, à travers champs ou en suivant des chemins tracés, nous sommes arrivés à Kergreun en Trégrom chez Théophile JOLIFF que j'avais connu du temps qu'il habitait à Kermoulin en Louargat. Il était environ 16 heures. Les JOLIFF nous ont proposé à manger. Nous avions faim et avons accepté un œuf qui a été avalé cru.
La veille, il y avait eu deux sabotages sur la voie ferrée Paris - Brest à proximité de la halte de Trégrom. Nous avons demandé aux JOLIFF si la voie était sous surveillance de l'ennemi. Ils nous ont répondu qu'aucune garde n'était assurée. Nous nous sommes approchés de la voie ferrée avec précaution, puis l'avons traversée sans encombre. |
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Notre arrivée en lieu sur à Pluzunet
Le soir, nous étions chez une tante de ma femme, Anaïs KERTUDO née LE LAGADEC, à Pluzunet, au lieu-dit Kerampont, à proximité du bourg. Nous avons mangé et dormi sur place dans le grenier, l'accès était dépourvu d'échelle et d'escalier, une chaise placée sur la table de la salle à manger faisait l'affaire. Le lendemain matin vers neuf heures, nous sommes partis nous réfugier chez Amédée ROPARS minotier au moulin du château de Tonquédec, et nous y sommes restés en attendant de recevoir des ordres. Au bout de trois jours, Paul NOGRÉ de Loc-Envel est arrivé par le sentier reliant le château à la minoterie, tenant son vélo de la main droite, l'autre restant cachée sous sa veste, car il avait été blessé lors de l'arrestation de Roger MADIGOU (il avait reçu une balle au niveau du biceps gauche, c'est le docteur ROUZAUT de Cavan qui lui extraira à son domicile), arrestation à laquelle il avait réussi à échapper, comme il me l'expliqua en détail. Hélas, il devait être arrêté chez lui à Loc-Envel lors d'une rafle, le 13 avril 1944, il fut jugé par un tribunal militaire allemand de Rennes, condamné à la peine de mort et fusillé le 23 juin 1944, avec deux camarades de Loc-Envel, Marcel GUILLERMIC et Maurice PEIGNE dit PIN, et un autre camarade de La Chapelle-Neuve, François TOUBOULIC, au camp de La Maltière en Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes. Ils furent enterrés à Rennes au Cimetière du nord, puis leurs corps furent inhumés dans leurs communes respectives. |
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Nous changeons de secteur
Paul venait nous dire de ne pas aller à Loc-Envel, sur ordre de Louis PICHOURON, responsable départemental FTPF. Nous sommes restés à cet endroit, puis est arrivé François TASSEL de Ploubezre qui venait nous prendre en charge : nous étions versés dans son secteur à sa disposition, c'était un ordre. Ce fut la derrière fois que je vis mon camarade Paul NOGRÉ.
Me trouvant dans la clandestinité, il me fallait faire vivre ma famille. François TASSEL recevait de l'argent issu des parachutages qu'il était chargé de répartir, je devais toucher de sa part 500 francs par mois, en fait je ne fus payé que deux fois au lieu de trois. Je sais que des camarades se sont plaints de ne pas avoir été payés. Quant à l'argent parachuté, aucun contrôle n'était effectué, aucun reçu n'était délivré, beaucoup de bruits ont couru à ce sujet sur l'enrichissement de certains qui soudainement après guerre changèrent brutalement leur train de vie. |
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A Louargat pendant ce temps là
Tandis que je m’enfuyais avec son frère, Clémence, elle, devait affronter les Allemands. Voici son témoignage :
"Serge et moi, nous sommes restés pris en otages sous bonne garde au premier étage de la maison pendant plusieurs jours. Les Allemands prenaient Serge pour une fille parce qu'il avait les cheveux longs et frisés, à plusieurs reprises il appela son papa : "papa, papa !". Cherchant des choses compromettantes, ils l'ont sorti sans ménagements de son landau pensant y trouver des documents ou armes cachées. Ils m'ont demandé où était mon mari. Je leur ai répondu qu'il était parti. Ils m'ont dit qu'ils savaient où il était. Sous la toile cirée de la table de la cuisine étaient cachées de fausses cartes d'identité. Par chance, les Allemands ne les ont pas trouvées. Prise d'une envie pressante, je fus contrainte de faire devant eux dans un seau.
Durant le temps que nous avons été gardés par les Allemands soit 3 jours, seule une fillette de 8 ans, Christiane NOUET (que Serge appelait Cricra) la petite fille de la voisine Marie LE COLVEZ fut autorisée à apporter du lait pour Serge.
Me trouvant seule avec Serge, croyant que les Allemands étaient partis, comme il faisait toujours nuit, j'ai appelé Marie LE VÉZU (elle demeurait dans la maison d'en face) de la fenêtre du premier étage en lui criant : "Les Boches sont partis". A cet instant, j’ai vu la lueur rouge de la cigarette d'un soldat allemand qui assurait la garde devant la maison. Ce soldat a sans doute marché sur le tas de sable déposé devant la maison. Dans ce tas de sable, il y avait une caisse en bois contenant deux mitraillettes et quatre grenades. Ils sont revenus le lendemain chez Marie LE VÉZU pour perquisitionner. Marie possédait le poste de radio sur lequel nous écoutions Radio Londres.
Nous avons alors décidé de mettre Serge à l'abri, sa marraine, ma sœur, Denise LE LAGADEC, étant chargée de le conduire dans son landau à Gurunhuel au lieu dit Pont-Hallec, chez Marcel TILLY, un cousin de mon mari qui exploitait une petite ferme. Il était convenu qu'Eugène LE GUILLERMIC, négociant en boissons, de Belle-Isle-en-Terre prendrait Serge et Denise sur la route de Gurunhuel et non à mon domicile pour ne pas éveiller l'attention. Ils sont restés quelques jours à cet endroit, puis ils sont allés chez Jean TILLY, un oncle de mon mari, à Tréglamus au lieu dit Crec'h-ar-Maout."
Le 6 avril 1944 au matin, les Allemands sont venus faire une perquisition chez Marie LE VÉZU. Il y avait chez elle, outre Marie LE VÉZU, sa sœur Angèle et Denise LE LAGADEC ma belle-soeur.
Voici son témoignage :
"A l'époque, j'apprenais à coudre avec Marie LE VÉZU qui demeurait en face de la maison de ma mère où se trouvaient Clémence et Serge. Il arrivait que je reste dormir chez elle. Dans la matinée du 6 avril 1944, les Allemands ont investi la maison, ils ont fouillé partout, tout mis sens dessus dessous au rez-de-chaussée mais aussi à l'étage et emporté le poste TSF. Je me suis réfugiée dans le coin d'une pièce, terrorisée, claquant des dents, tremblant de peur. Nous avons vécu des moments épouvantables, sans rien savoir de ce qui se passait.
Qu'étaient devenus Armand et Eugène ?
Qu'allait-il advenir de Serge et Clémence ?
Qu'allions nous devenir ?
Lorsque les Allemands ont jeté des grenades dans le champ derrière la maison, nous avons craint qu'Armand et Eugène ne s'y soient réfugiés."
Angèle LE VÉZU, à son tour, raconte :
"Les Allemands ont menacé ma sœur Marie avec une arme en la traitant de terroriste. Marie avait pris l'habitude de mettre des petites pièces de monnaie dans une bouteille, c'était un peu sa tirelire. Ils ont pris cette bouteille et l'ont projetée sur le sol, elle s'est brisée et les pièces se sont éparpillées par terre. En partant, ils ont emporté avec eux le poste TSF. "
Après cette tentative d'arrestation manquée, les armes cachées dans le tas de sable devant la maison furent transportées à Belle-Isle-en-Terre par Angèle LE VÉZU. |
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Témoignage de Christiane NOUET
Le 6 avril 1944, j’étais une petite fille de 8 ans et me souviens du récit de ma grand’mère Marie RIOU née LE COLVÉ, concernant la tentative d’arrestation d’Armand TILLY par les Allemands.
Cette nuit du 6 avril 1944 fût une nuit mémorable pour ma grand’mère qui demeurait rue de Saint-Éloi à Louargat. En effet, l’Armée d’occupation était à la recherche d’Armand TILLY qui habitait la maison mitoyenne de celle de ma grand’mère.
Lors de cette nuit, elle fut réveillée par de violents coups frappés à la porte d’entrée de sa maison, les soldats allemands étant à la recherche d’Armand TILLY. Elle a été interrogée et ils l’ont fait sortir de sa maison en la mettant dos au mur, ces derniers désirant connaitre le domicile d’Armand TILLY que, ma grand’mère, ne connaissait, évidemment, pas ...
Cet interrogatoire a été très pénible pour elle (malgré qu’il n’y ait pas eu de violence physique) mais ce qu’elle craignait et qui la préoccupait c’est le fait que par tout ce tintamarre, et que, sa petite fille, dormant au 1er étage de sa maison, se réveille, que je la rejoigne…. Et que je sois également interrogée... Tout ceci ne s’est pas produit dormant d’un bon sommeil d’une petite fille de 8 ans...
Madame TILLY Clémence et son fils Serge, âgé de 2 ans, se trouvaient "consignés" dans leur chambre et à l’extérieur comme à l’intérieur de leur maison se trouvaient des militaires de l’armée d’occupation les armes à la main...
Ma grand’mère s’inquiétait du sort de Clémence TILLY ainsi que de son fils étant donné que tout contact et visite étaient absolument interdits. Elle supposait que les vivres leur manquaient et que Serge subissait les mêmes conditions que sa maman...
Ma grand’mère avait donc décidé que, moi, Christiane, tenterai, de rendre visite à Clémence TILLY et si les soldats allemands me posaient des questions, je devais répondre "je vais jouer avec le petit garçon"... ce que je fis... mais voyant ces soldats à l’extérieur de la maison je n’étais absolument pas rassurée mais malgré tout je suis rentrée et ai été surprise de voir encore des soldats dans le couloir et au premier étage de ladite maison... Je me revois me rendre au premier étage la peur au ventre... (les soldats allemands ne m’ont pas posé de question )...
J’ai donc vu Clémence, l’ai informée de ce qui se passait dans sa propre maison (soit la présence des soldats allemands), j’ai "récupéré" Serge pour la journée. Il a pris ses repas chez ma grand’mère et avons joué ensemble.
Par la suite, la même scène s’est reproduite. J’allais chercher Serge le matin, (la peur se dissipait doucement)... Et par la même occasion j’apportais des victuailles pour Clémence.
J’ignore le nombre de jours que les soldats ont occupé cette maison mais le souvenir de cette période est bien ancré dans ma mémoire...
Christiane NOUET le 15 mai 2010 |
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Les gendarmes de Belle-Isle-en-Terre appelés par les Feldgendarmes de Plouaret
Le matin du 6 avril à 9 heures, les gendarmes de la brigade de Belle-Isle-en-Terre (avec à leur tête le détesté Auguste LE CORRE) vinrent sur ordre de la Feldgendarmerie de Plouaret établir un procès verbal en vue de me retrouver, interrogeant à 11 heures : mon épouse, Émile LE BONNIEC et deux voisins : Jean RUMIAC et Marie LE COLVÉ, fouillant différentes maisons et dépendances ainsi que les jardins et champs avoisinants, puis ils se rendirent chez ma belle-mère Francine LE GUERN à Kerhouën sur la route de Saint-Éloi interrogeant à 13 heures 45 ma belle-mère et ma belle-soeur Denise LE LAGADEC, fouillant la maison et ses dépendances ainsi que les champs environnants dans le but de me trouver, elles furent questionnées à leur tour.
A la question : "où est Armand TILLY ?", tous les témoins répondirent : "je ne sais pas, cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu", alors que beaucoup d'entre-eux me voyaient presque tous les jours. |
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Procès Verbal de la Gendarmerie Nationale
voir en plus lisible
voir en plus lisible le procès verbal de gendarmerie

Une grande chaîne de solidarité humaine
Cette arrestation manquée démontre la grande solidarité de la population avec les Résistants, elle mérite quelques commentaires :
- Madame MARZIN qui donne un mauvais renseignement aux Allemands nous permettant de gagner du temps pour nous échapper,
- L'accueil de Guillaume JÉZÉQUEL à Kerléo en Louargat qui nous offre couvert et chaussures alors que nous n'avions que des chaussettes aux pieds,
- L'accueil de Baptiste GEFFROY
et d'Henri LE FAUCHEUR à Kerello en Louargat qui nous offre couvert et facilite notre fugue,
- Les paroles rassurantes de l'instituteur Jean CLECH et des deux bûcherons Alexis LUYER et François JEZEQUEL,
- Le message des 2 bûcherons Alexis LUYER et François JEZEQUEL qui nous avertissent en breton que les Allemands sont tout prêts de nous,
- L'accueil de Théophile JOLIFF à Kergreun en Trégrom qui nous offre couvert et nous permet de passer la voie ferrée sans encombre,
- L'accueil d'Anaïs KERTUDO et de sa fille Jeannette à Kerampont en Pluzunet qui nous offre une cache,
- L'aide d'Eugène GUILLERMIC qui ira mettre Serge en lieu sûr,
- L'aide de mon cousin Marcel TILLY et de mon oncle Jean TILLY qui accueilleront Serge et sa maraine Denise LE LAGADEC,
- Lors de l'établissement du procès verbal de gendarmerie par les gendarmes de la brigade de Belle-Isle-en-Terre, toutes les personnes interrogées déclarèrent ne pas m'avoir vu depuis longtemps alors que toutes me voyaient régulièrement.
- Après son retour à la maison, lorsque Serge allait jouer avec d'autres enfants (Anna la petite fille de la ferme et Christiane NOUET la petite fille de notre voisine Maï LE COLVÉ) dans la ferme de la famille LE JAUNARD à Toullan à 150m de mon domicile sur la route de Saint-Éloi, pour le protéger, il était demandé aux enfants de ne pas dire à d'autres personnes que Serge était le fils d'Armand TILLY.
Tous ces gens prenaient des risques, sans eux la Résistance ne pouvait pas exister.
Après cette tentative manquée de mon arrestation j'entrais dans la clandestinité étant recherché par les Allemands, ce n'est que vers le 10 août 1944 après la Libération de Lannion et Trédrez-Loquémeau que je retournais à la maison rejoindre Clémence et Serge, soit plus de 4 mois après, entre temps Anaïs KERTUDO et sa fille Jeannette assuraient la liaison en cas de besoin.
Nous avons appris plus tard que c'est le docteur Marc DASSONVILLE qui avait téléphoné au lieutenant de gendarmerie du Guingamp Jean FLAMBARD qui sans doute à son tour averti les Feldgendarmes de Plouaret.
Ferdinand Savidan, le cousin de mon épouse Clémence appris à ses dépends que j'étais recherché, il fut arrêté un jour par les Allemands, fouillé, ceux-ci trouvèrent dans sa veste un carnet contenant un certain nombre d'adresses, dont la mienne, celle du temps où je demeurais à La Garenne-Colombes en 1942. Il fut battu pour lui faire donner l'endroit où j'étais censé habiter, le pauvre il en avait aucune idée. Finalement il fut relâché à son grand soulagement.
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