Suite aux accords de Munich du 29 septembre 1938 livrant la Tchécoslovaquie à Adolf HITLER et la soumission d'Edouard DALADIER président du conseil de la France et de Neville CHAMBERLAIN, premier ministre du Royaume-Uni, j'ai été rappelé sous les drapeaux le 17 mars 1939, répondant à un ordre de mobilisation générale. Ce sont les gendarmes de Belle-Isle-en-Terre qui m'ont prévenu en me faisant parvenir ma feuille de route.
A l'époque je travaillais chez Albert GUYADER qui tenait une boulangerie au bourg de Louargat au carrefour de la route nationale 12 et de la route de Gurunhuel, je livrais le pain à bord d'un fourgon Citroën faisant la tournée sur Louargat, Gurunhuel, Moustéru et Tréglamus, j'étais nourri et logé chez mon employeur.
C'est Angélique LE FAUCHEUR qui équipée d'un téléphone et demeurait au bourg de Louargat était appelée par le bureau de Poste qui se trouvait au bord de la route Nationale, elle s'y rendait, prenait le télégramme et allait le remettre à son destinataire. C'est elle qui est allée porter individuellement à bicyclette la petite lettre bleue à chaque mobilisé c'est à dire ceux de la classe 15 (nés en 1915), nous devions être environ une vingtaine sur la commune, ce jour là il y avait eu un gros orage, je la vois encore sous la pluie battante aller distribuer le petit papier à chacun de nous. Sur le télégramme servant d'ordre de mobilisation il y était écrit approximativement : "rejoignez immédiatement unité affectation".
J'ai donc rejoint mon unité, le 71ème Régiment d'Artillerie de Fontainebleau, là même où j'avais effectué mon service militaire d'octobre 1936 à octobre 1938, revenant donc 6 mois après l'avoir quitté, restant en caserne jusqu'à la déclaration de guerre avec l'Allemagne le 2 septembre 1939.
Mon régiment faisant partie de la 1ère armée commandée par le général Georges BLANCHARD comptait environ un millier d'hommes. Nous avons quitté Fontainebleau le 2 septembre 1939 en échelon d'équipement de combat avec tout le matériel pour la plupart neuf : canons de 75 mm et canons courts de 105 mm Bourges (canons récents puisque datant de 1936 d'une portée de 12 km, montés sur des roues en bois cerclées et équipées de 4 rouleurs indépendants de 50 cm de diamètre permettant de rouler sur route à 45 km/h), matériel de transmission, véhicules de toutes sortes, tracteurs LAFFLY, camions à plateau pour le transport de matériel divers... chacun étant muni d'un fusil mousqueton avec 10 balles de 8 mm, pour rejoindre Péronne dans la Somme, puis l'Aisne passant par Soissons, Saint-Quentin et à Guise, effectuant jusqu'au 10 mai 1940 des manœuvres et assurant l'entretien du matériel. Nous étions hébergés dans des cantonnements. J'étais soldat de 1ère classe.
Notre unité de 400 à 500 hommes était commandée par le commandant Albert TEXIER, elle comprenait 3 groupes avec pour chacun 3 batteries de 4 canons, le 1er groupe (1ère, 2ème et 3ème batterie) et le 2ème groupe (4ème, 5ème et 6ème batterie) étaient équipés de canons de 75 mm, mon groupe le 3ème (7ème, 8ème et 9ème batterie) était pourvu de ces canons courts Bourges de 105 mm d'une portée de 12 km, plus lents dans les déplacements puisque portés par des roues en bois cerclées, alors qu'à Fontainebleau nous avions reçu et laissé sur place des roues métalliques. Nous n'avons rien compris au fait qu'initialement nous étions équipés de canon de plus grande portée de 18 km datant de 1913.
Mon groupe était commandé par le capitaine Jacques BILLION du ROUSSET qui sera tué avec d'autres camarades le 14 mai 1940.
voir le commandement du 71ème Régiment d'Infanterie
De mon département il y avait : Roger NICOLAS chauffeur-livreur demeurant rue de la Trinité à Lannion, Aimé LE BAIL cultivateur demeurant à Landébaeron, Louis LE BRET cultivateur demeurant à Pléven, Jean LE SAGE épicier demeurant à Yffiniac, Ernest LE MOINE "Nénesse", cultivateur demeurant à Plancoët, CLOCHET demeurant à Carnoët et Joseph MEHEUST cultivateur demeurant à Henanbihen...
De mes copains connus lors de mon service militaire il y avait : Gabriel LANNERET "Totoche", demeurant à Tournan-en-Brie dans la Seine-et-Marne, Michel ROOS d'Orléans dans le Loiret, l'abbé séminariste Georges GUILLOU demeurant à La Roche Frossay près de Pornic dans la Loire-Atlantique, l'abbé séminariste Alexandre DUHIL demeurant 18 rue Saint-Nicolas à Monfort-sur-Meu dans l'Ille-et-Vilaine, Gérard SOUBIROUX, chaudronnier aux chantiers de Penhoët dans la Loire-Atlantique originaire de Cugand en Vendée (lors du service militaire, nous étions les seuls de la chambrée à ne pas aller à la messe), FONTENEAU de Nantes, BERNARD, un grand gaillard de la Vienne, CAILLON de la Vendée, SAVARY de Loire-Inférieure.
Je faisais partie de la 2ème Division Légère Mécanisée ou Mécanique la DLM sans infanterie, commandée par le général de brigade Gabriel BOUGRAIN. Nous étions chargés de colmater d'éventuelles brèches dans nos lignes provoquées par l'ennemi. Il y avait d'autres DLM : de Provins, Melun et Saint-Germain-en-Laye. Je conduisais un tracteur tout récent de marque LAFFLY à 6 roues motrices pouvant fonctionner avec 2 ou 6 roues motrices suivant le terrain. A l'avant il y avait aussi 2 roues permettant le franchissement des talus. Le moteur était un HOTCHKISS, l'engin tractait un fourgon contenant le matériel de transmission par fils posés par ceux de la transmission entre les batteries mais aussi par radio pour communiquer entre les groupes. Dans la cabine à mes côtés sur la banquette avant il y avait 2 spécialistes des transmissions, sur la banquette arrière 4 autres, tout à fait à l'arrière du véhicule il y avait une soute à munitions. Une capote couvrait l'espace conducteur et passagers à l'avant, une réserve d'essence de 5 litres était prévue devant le siège passager. Une seule fois voulant se servir du matériel de transmission ils s'aperçurent que les fils avaient été coupés (sabotés ou victimes de tirs).
La 2ème Division Légère Mécanique, est une unité française de blindés, créée en 1937, par la transformation de la 5ème division de cavalerie, basée à Lyon. Elle s'inspire pour son organisation de la 1ère Division Légère Mécanique, créée l'année précédente, en y apportant quelques modifications, dues surtout à l'évolution du matériel. Ainsi, le 1er régiment de dragons portés, au lieu de deux régiments à deux bataillons, ne donne naissance qu'à un seul à trois bataillons, et les automitrailleuses de combat semi-chenillées cèdent la place à des chars HOTCHKISS H35 et SOMUA S-35. Pendant la Campagne de France, encerclée en Belgique, elle est reconstituée début juin, et mène des combats retardateurs, lors du repli de l'armée française, dans l'ouest du pays, jusqu'à l'armistice du 25 juin 1940. Après la défaite, la division est dissoute, le 16 juillet 1940.
C'est lorsque nous étions dans l'Aisne au mois de décembre 1940 que je suis allé en permission pour une dizaine de jours à Louargat, je logeais chez mon dernier employeur Émile LE BLÉVENNEC, il avait fait un temps épouvantable, j'avais réussi à louer au garagiste de Louargat une voiture Ford pour aller rendre visite à mon cousin Marcel TILLY à Pont-Hallec en Gurunhuel, la neige était si épaisse environ 60 cm (alors qu'à Louargat il n'y avait que 20 cm environ) que dans la longue côte menant au village aux environs de Lein-Hallec je fus obligé de rebrousser chemin en marche arrière pour retourner à Louargat. Tous les hivers de 1940 à 1944 furent très froids et avec beaucoup de neige.