En Belgique, alors que nous étions arrêtés à bord du tracteur, après plusieurs nuits sans dormir, un copain de Lanvellec nommé LIARD s'est endormi, il était assis sur le siège arrière à l'endroit où se trouvait le bouchon de remplissage du réservoir à essence, il fallait qu'il quitte sa place pour faire le plein du réservoir. Etant au volant, je l'ai bousculé pour le réveiller, comme il ne réagissait pas, je l'ai secoué plus fermement. Sa portière étant ouverte il est tombé par terre d'une hauteur de 1 m à 1.5 m environ. Il ne bougeait pas, je croyais qu'il était mort. J'ai été obligé de le laisser sur place. C'est le service sanitaire qui l'a récupéré. Il m'expliquera plus tard lorsque je suis allé le voir chez lui à Lanvellec dans les années 70 qu'il s'était réveillé dans un garage, un camarade l'ayant déposé sans qu'il s'en aperçoive. Cela prouve dans quel état d'épuisement nous étions. Certains arrivaient à s'endormir. Pour ma part, je suis resté plusieurs jours sans pratiquement dormir.
Nous avons donc fait le plein d'essence à partir d'une citerne faisant partie de notre convoi, c'était à coté d'un bois, en contrebas coulait un petit ruisseau, nous étions assoiffés, à proximité se trouvait une usine évacuée, d'une gouttière coulait un petit filet d'eau claire semblant être potable ce n'était pas de l'eau de pluie étant donné qu'il n'avait pas plu depuis bien longtemps, nous avons rempli nos bidons et bu abondamment. Au moment de monter dans notre tracteur un camarade s'écria : "oh ! j'ai chié dans ma culotte", quelques instants plus tard ce fut à mon tour, ça me coulait le long des jambes sans que je puisse me retenir, l'eau en était sans doute la cause, mais il n'y eut pas de suite. Je ne sais plus comment nous avons fait pour nous laver.
Le 26 mai 1940 au sud de Ieper (Ypres en français), nous avons été placés dans une prairie et on nous a ordonné de mettre le feu à tous nos véhicules et tout notre matériel pour ne pas qu'ils tombent entre les mains de l'ennemi. Le matériel et les véhicules étaient pratiquement tout neufs, l'aspergeant d'essence et y mettant le feu, il y eut environ une dizaine d'engins mis à feu. Ayant oublié mon sac à dos dans le tracteur avec mes vêtements de rechange et mes effets personnels (rasoir, lunettes de protection contre la poussière, gant, capote, pull-over, mes papiers personnels dont mon livret militaire...), je me retrouvais en chemisette, ne pouvant approcher le véhicule en feu. Dans la journée, il faisait chaud et la nuit très froid. Nous avions du mal à comprendre pourquoi il fallait tout détruire ainsi. Nous n'étions au courant de rien, n'imaginant pas un seul instant que nous pouvions subir une telle défaite si rapidement. C'est avec peine que je vis ce tracteur LAFFLY partir en fumée. Lors de mon service militaire à Fontainebleau en 1937 j'avais été le réceptionner à l'usine au sud de Paris. Il était tout neuf, j'avais aussi assuré son rodage, il n'avait fait que quelques milliers de kilomètres.
J'appris plus tard que durant la 1ère guerre mondiale, celle de 1914-1918 que l'on appela la grande guerre:
- c'est dans ce secteur de Ypres que le 22 avril 1915 furent utilisés par l'armée allemande et pour la première fois de l'histoire les gaz de combat asphyxiants constitués à base de chlore.
- ce même jour 22 avril 1915 à Boesinge à 10 km au nord-ouest de Ypres l'un de mes oncles un frère de mon père Jean-Marie TILLY, 2ème classe au 73ème Régiment Territorial d'Infanterie, matricule 18568, classe 1897, était porté disparu au combat à l'âge de 38 ans.
Je me souviens entendre ma mère dire qu'il était venu à Crec'h-Caradec à Louargat où nous habitions, il portait une capote percée (d'éclats d'obus sans doute), il pleurait ne voulant plus retourner sur le front, le moral à zéro.
Son nom figure gravé sur le monument aux morts de Gurunhuel sa commune d'origine.
- En 1923, afin d'honorer la mémoire des soldats bretons de la 87ème division française morts gazés au combat le 22 avril 1915 à Boesinge, les rescapés de ce massacre décidèrent avec l'accord de l'évêché de Saint-Brieuc de transférer deux monuments : un calvaire du 16ème siècle de Louargat (ma commune d'origine), ainsi qu'un dolmen provenant d'Hénanbihen. Ces deux monuments sont installés au carrefour des Roses à Boezinge, à quelques kilomètres de la frontière française.
Ce lieu de mémoire a été inauguré le 15 septembre 1929.
Ce calvaire provenait bien de Louargat, du lieu-dit Kerello.
Habitant à quelques centaines de mètres, gamin je me souviens avoir vu un calvaire à cet endroit.
En fait ce calvaire était implanté sur la propriété de la famille Geffroy qui habitait une grande maison répertoriée dans le patrimoine possédant son propre moulin.
En 2005, mon fils est allé rendre visite aux derniers Geffroy qui occupèrent la maison jusqu'en 2010. Eugène Geffroy confirma que sa grand-mère qui d'après lui "aimait les sous" avait vendu le calvaire et qu'il avait été envoyé en Belgique.