Armand Tilly
de Fontainebleau à Payrin-Augmentel
du 17 mars 1939 au 25 juin 1940
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LA FUITE CONTINUE, UNE FOIS EN FRANCE… UNE FOIS EN BELGIQUE…

En fait, nous avons pénétré en Belgique, puis nous sommes retournés en France et cela sans doute à plusieurs reprises ne sachant plus très bien où nous étions. Nous ne nous déplacions généralement que la nuit.
Il est difficile de décrire de façon chronologique les endroits par lesquels nous sommes passés en Belgique (en traversant la ville ou bien en passant non loin de celle-ci) : Charleroi après le premier franchissement de la frontière, Paturages, Dinant par deux fois (au premier passage, je fus étonné du nom de cette ville par rapport à Dinan en Bretagne), Namur par deux fois, Huy, Saint-Denis pour terminer dans l'ordre Dixmude, Ypres et La Panne.

Aux alentours de La Panne en Flandre, en passant devant des jardins ouvriers, un camarade entra dans une cabane pour se procurer une pelle afin de creuser un trou dans le but de se protéger des tirs de l'aviation allemande. Il trouva une bêche, s'en empara. Le propriétaire, l'ayant aperçu lui retira sans ménagement son outil avec l'appui des habitants du voisinage. Il y avait de quoi être écœuré par leur comportement hostile aux Français voire pro nazi.

Ensuite, nous avons marché toute la nuit pour arriver vers le 27 mai à La Panne en Belgique (l'armée allemande y entrera le 1er juin) en bordure de mer dans les dunes (nous ne les quitterons plus jusqu'à Malo-les-Bains aux portes de Dunkerque) y passant tris jours et trois nuits sans manger ni boire, avec le froid en plus. Je regrettais d'avoir oublié mes vêtements dans le tracteur, car il faisait très froid la nuit, pourtant nous étions presque en été. Continuant à être la cible de l'aviation ennemie, chaque tir nous faisait glisser sur les pentes des dunes. Un lieutenant d'active de la 8ème batterie originaire de Saint-Flour dans le Cantal situé en contrebas de moi m'engueula parce que mes pieds le repoussaient à chaque tir. Un camarade reçut un obus entre les jambes, par chance celui-ci s'enfonça dans le sable sans exploser.

Une escadrille d'une dizaine de bombardiers allemands composée de DORNIER fut attaquée par des chasseurs HURRICANE canadiens reconnaissables au fait qu'ils avaient une aile peinte en blanc et l'autre en gris. L'un de ceux-ci fut atteint à la queue qui se sépara du fuselage. L'avion piqua plein gaz pour s'écraser dans les dunes. Son pilote put s'éjecter à temps. On le vit un moment au bout de son parachute, le gouvernail arrière planant un bon moment dans le ciel suivant une trajectoire en zigzag avant de tomber dans les dunes. Les pilotes canadiens réussirent à abattre trois DORNIER.

Le lendemain à travers les dunes, passant la frontière franco-belge, nous sommes arrivés à Bray-Dunes en France. N'ayant ni bu, ni mangé depuis plusieurs jours, Roger NICOLAS le copain de Lannion arriva sur un cheval qu'il avait récupéré en cours de route, visiblement il avait trop bu de genièvre, celui de mon bidon qu'il m'avait subtilisé auparavant. Un autre camarade visa avec son fusil le cheval qui se trouvait à plusieurs dizaines de mètres. D'une balle dans la tête, il le tua net, l'animal s'écroula dans le sable, ce qui fit d'ailleurs reprendre ses esprits à Roger NICOLAS. Chacun se mit à tailler des morceaux de viande encore chaude sur le pauvre animal, coupant des tranches de viande et aussi buvant son sang. Nous étions restés en tout trois jours et trois nuits sans boire ni manger. On ne peut pas s'imaginer lorsqu'on n'a pas connu la soif comme c'est difficile à endurer. La faim pose moins de problèmes. Je me souviens d'avoir taillé dans l'arrière du cheval, bien sûr la viande fut mangée crue, fade de goût, en fait, c'était surtout pour absorber le jus de la viande en suçant la chair pour nous hydrater.

Arrivés à Malo-les-Bains, nous avons emprunté une voie ferrée départementale (voie métrique) pratiquement jusqu'à Dunkerque. Tout cela sous les bombardements de l'aviation et de l'artillerie ennemie. Par chance, il n'y eut pas de victime parmi mon groupe, les obus percutants n'explosant pas la plupart du temps du fait qu'ils se plantaient dans le sable. Sur la voie ferrée nous avons trouvé une moto side-car Harley-Davidson deux cylindres, sans doute abandonnée par les Anglais. Comme je la poussais pour la faire démarrer, elle est partie sans que je puisse la retenir, finissant sa course dans une douve, roulant un moment sur la voie ferrée. Je ne pouvais m'attarder, il fallait avancer au plus vite.

Dans les dunes, nous avons subi de nombreux tirs d'artillerie. Les Allemands avaient réussi à mettre la main sur des batteries françaises de 75 mm. A chaque tir, c'étaient quatre obus qui partaient. Autour de Dunkerque, heureusement que nous avons pu bénéficier d'une certaine efficacité de la DCA anglaise.

Sur la plage de Malo-les-Bains, nous avons aperçu de loin 3 navires français qui étaient coulés, ils étaient assez proche l'un de l'autre. Un camarade crut reconnaître le torpilleur LE SIRROCO (coulé le 31 mai 1940 vers 2h, position: 51.18.95 Nord / 02.14.13 Est, profondeur maxi : 38 m, qui s'illustra pour avoir coulé plusieurs sous-marins allemands. Il avait aussi participé à mettre hors d'usage le cuirassé allemand VON GRAF SPEE qui se saborda plutôt que de se rendre dans la baie de Rio de la Plata en Uruguay), mais en fait c'était le contre-torpilleur LE JAGUARD (coulé le 23 mai 1940, position : 51.03.50 Nord / 2.22.30 Est, profondeur maxi : 8 m), le torpilleur L'ADROIT (coulé lui aussi le 23 mai 1940, position : 51.03.42 Nord / 2.23.20 Est, profondeur maxi : échoué sur la plage) et le chasseur de sous-marins LE CHASSEUR 9 (coulé le 22 mai 1940, position : 51.03.033 Nord / 2.24.00 Est, profondeur maxi : 0 m).

On voyait sur les plages des camarades qui embarquaient sur des barcasses. Je pensais qu'ils allaient ainsi en Angleterre mais, en fait, ils rejoignaient un bâtiment un peu plus au large.